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Huiles de table : Dérapages incontrôlés

Huiles de table : Dérapages incontrôlés

Après un exercice 2021 «faste», l’année 2022 s’avère compliquée.

Le Maroc subit de plein fouet la flambée des prix des matières premières, en particulier ceux entrant dans la fabrication des huiles de table.

S’inscrivant en hausse depuis plusieurs mois, le prix du bidon ce cinq litres d’huile a presque doublé.

 

Rien à dire. Sur le plan économique, le Maroc a réalisé un bon cru l’année dernière. Les chiffres que viennent de publier le haut-commissariat au Plan (HCP) en attestent. L’arrêté des comptes nationaux de l’année 2021 fait en effet ressortir une croissance de l’économie nationale à 7,9%. Cette performance, qui intervient après la sévère récession de 7,2% en 2020 due en particulier à la crise sanitaire, est le résultat d’une forte hausse de 17,8% de l’activité agricole suite à une exceptionnelle campagne agricole, et de 6,6% des activités non agricoles. 

«Tirée par la demande intérieure, cette croissance a été réalisée dans un contexte d’une forte inflation et d’une aggravation du besoin de financement de l’économie nationale», précise le HCP. 

 

Pour 2022, les opérateurs économiques tirent la gueule. Dans un contexte très inflationniste, la croissance sera très molle, les projections les plus optimistes tablant sur 1,8%. Renchérissement des coûts des intrants et resserrement des marges pour les entreprises, cherté de la vie pour les citoyens, un gouvernement qui a du mal à apporter des réponses tranchées face à la flambée des prix alimentaires et énergétiques… : le tableau économique actuel est loin d’être idéal. Aujourd’hui, c’est surtout cette inflation importée qui fait mal aux bourses des ménages marocains et qui reste un véritable casse-tête pour l’exécutif. Qui, à chaque sortie, ne manque pas de faire savoir à l’opinion publique qu’il en fait déjà assez, en exhibant les charges de la compensation : elles ont atteint 11,8 milliards de dirhams à fin avril 2022, contre 6,3 Mds de DH durant la même période de l'année écoulée, soit une hausse de 87%. 

 

Le gouvernement n’ignore pas cependant que la compensation ne concerne que trois produits (farine de blé tendre, gaz butane et sucre), alors que le panier de la ménagère le plus élémentaire compte au moins une quarantaine de produits de large consommation. S’il reste spectateur face aux prix du carburant qui prennent l’ascenseur, il essaie cependant d’activer d’autres leviers afin de pouvoir limiter l’augmentation des prix des produits alimentaires. C’est dans ce cadre que le Conseil de gouvernement, réuni jeudi dernier, a approuvé le projet de décret n° 2.22.393 relatif à la suspension des droits d'importation applicables à certaines graines oléagineuses et huiles brutes. Objectif : faire face à la conjoncture actuelle marquée par une hausse importante des prix des matières premières et son impact sur le prix de vente des huiles de table les plus consommées.

Le gouvernement a ainsi décidé de suspendre les droits d'importation applicables aux graines oléagineuses brutes de tournesol, de soja et de colza, à compter du 3 juin 2022.

 

Une mesure plus que nécessaire

Le Maroc reste parmi les 10 premiers importateurs d’huile alimentaire dans le monde. En 2020-2021, 77.000 tonnes d’huiles de colza et de tournesol et 460.000 tonnes de tourteaux de colza et tournesol ont été consommés au Maroc. Le Royaume a acheté, en 2020/2021, 450.000 tonnes d’huile de soja sur le marché international, ce qui en fait le 7ème importateur mondial selon le Département américain de l’agriculture (USDA).

Ainsi, la production locale des oléagineux ne couvre que 2% des besoins nationaux. En important 98% des matières premières utilisées dans la fabrication des huiles de table, le Royaume subit donc de plein fouet les fluctuations des prix sur les marchés internationaux. Ce qui se répercute sur les citoyens et leur pouvoir d’achat : les prix des huiles de table sont dans une dynamique haussière depuis plusieurs mois au Maroc, le coût du bidon de 5 cinq litres ayant quasiment doublé.

 

La suspension des droits d'importation applicables à certaines graines oléagineuses et huiles brutes devrait donc permettre de seulement freiner la hausse des prix, mais pas d’inverser la tendance. Car les tensions sur les prix à l’international, entretenues entre autres par la guerre russo-ukrainienne, sont toujours persistantes, malgré une accalmie observée ces deux derniers mois. Après avoir atteint en mars leurs «plus hauts niveaux jamais enregistrés», les prix mondiaux des denrées alimentaires ont légèrement décroché en mai pour le deuxième mois consécutif, à l'exception de ceux du blé qui continuent de s'envoler (+5,6%).

 

Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), «après un record historique au mois de mars en raison de la guerre en Ukraine, l'indice FAO des prix alimentaires, qui suit la variation mensuelle des cours internationaux d'un panier de produits alimentaires de base, se contracte de 0,6% sous l'effet d'une baisse de prix des huiles végétales et des produits laitiers».

Ainsi, l'indice FAO des huiles végétales diminue de 3,5%, sous l'effet d'une baisse des prix de l'huile de palme, du tournesol, du soja ou du colza, «en partie en raison de la levée de l'interdiction d'exportation temporaire imposée par l'Indonésie sur l'huile de palme».

 

Une question de souveraineté 

Actuellement, tout l’enjeu pour le Maroc est d’essayer de réduire sa dépendance de l’extérieur. C’est dans ce cadre que l’industrie marocaine des oléagineux a décliné des ambitions fortes à travers sa stratégie à «Al Jayl Al Akhdar». Objectif : doubler les superficies emblavées à 80.000 hectares à l’horizon 2030, dont 30.000 en colza et 50.000 pour le tournesol. Cela devrait permettre d’atteindre une production capable de satisfaire, à cette échéance, 15% des besoins de consommation du marché intérieur contre 1,7% en 2019, et générer 170.000 emplois.

Cette ambition doit cependant s’insérer dans une démarche beaucoup plus globale : celle de créer un écosystème national et intégré du stock stratégique des produits de base et ce, en application des hautes orientations royales. A en croire le ministre de l'Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, Mohamed Sadiki, le gouvernement s’y attelle déjà. En avril dernier, il assurait au Parlement que son département a mis en place une équipe dédiée à l'identification des produits concernés par ce stock et des mesures qui seront mises en place pour assurer la «souveraineté alimentaire». Ces produits, selon le ministre, sont constitués de deux catégories. La première concerne les produits de base que la production nationale ne permet pas de couvrir, à savoir les céréales, le sucre et les huiles de table, tandis que la seconde porte sur les intrants agricoles, en particulier les semences, les engrais azotés et les pesticides qui ne sont pas produits localement.

 

En attendant, il faudra se rendre à l’évidence : l’économie nationale continuera de prêter le flanc aux incertitudes liées à la conjoncture internationale. 

 

 

F. Ouriaghli

 

 

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