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Marché du travail : Le rendez-vous manqué !

Marché du travail : Le rendez-vous manqué !

L’économie marocaine affiche des indicateurs macroéconomiques globalement satisfaisants, avec une croissance en hausse et une inflation maîtrisée. Pourtant, le marché du travail reste sous tension, particulièrement pour les jeunes. Une situation qui soulève des questions sur la capacité du modèle économique actuel à générer des emplois durables et inclusifs.

 

Par D. William

L'économie marocaine se porte bien. Enfin, c’est ce que disent grosso modo les chiffres rendus publics récemment par le chef de mission du FMI, Roberto Cardarelli : «l'activité économique aurait progressé de 3,2% en 2024 et s’accélérera pour atteindre 3,9% en 2025, car la production agricole rebondira après les sécheresses récentes, et le secteur non agricole continuera de se développer à un rythme soutenu dans un contexte de forte demande intérieure».

Croissance en hausse, inflation sous contrôle autour de 2%, déficit budgétaire réduit à 4,1% du PIB en 2024 contre 4,3% prévus… Voilà donc un joli tableau macroéconomique. Et pourtant, il y a un hic. Malgré cette embellie, le chômage continue de plomber le pays. Plus précisément, le taux de chômage a atteint 13,3% en 2024, avec une augmentation du nombre de chômeurs de 58.000 personnes.

Les jeunes en sont les premières victimes. Le taux de chômage des 15-24 ans atteint un vertigineux 36,7%, en hausse par rapport à l’année précédente. Pour les 25-34 ans, il s’élève à 21%. Une vraie bombe sociale. Et pour les jeunes diplômés ? Ce n’est guère mieux. Leur taux de chômage s’élève à 19,6%. En 2024, le marché du travail a tout de même généré 82.000 nouveaux postes, principalement dans les services. Un chiffre encourageant sur le papier, sauf qu’il cache une réalité plus nuancée. La plupart de ces emplois sont précaires, mal rémunérés et peu protégés.

Loin du CDI rêvé. En parallèle, l’agriculture, qui reste l’un des plus gros pourvoyeurs d’emplois du pays, a perdu 137.000 postes en raison des sécheresses à répétition. Un secteur en crise qui pousse de nombreux ruraux à tenter leur chance en ville, où ils se heurtent à un marché du travail déjà saturé.

«En principe, une baisse de la population active devrait réduire le taux de chômage si les actifs occupés maintiennent leurs emplois. Or, au Maroc, depuis le premier trimestre 2023, nous assistons à un recul du taux d’activité parallèlement à une hausse du taux de chômage. Il s’agit donc d’une perte nette d’emplois, du fait que les emplois détruits dans le secteur agricole, qui subit un choc d’offre en raison du stress hydrique sévère causé par la série récente de sécheresses, n’ont pas été compensés par les emplois créés par le secteur des services», analyse Hachimi Alaoui, professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche.

Une croissance peu créatrice d’emplois

Pour absorber l’arrivée massive de jeunes sur le marché du travail, le Maroc a besoin d’un taux de croissance supérieur à 6% sur plusieurs années. Mais avec des performances en dessous de cette barre, le marché de l’emploi peine à suivre. Le problème ne date pas d’hier. Depuis des années, le Royaume se heurte à un plafond de verre, à savoir une croissance qui, malgré ses hauts et ses bas, n’atteint jamais le niveau nécessaire pour résorber le chômage. Les raisons sont connues : une dépendance excessive à l’agriculture, un secteur industriel qui peine à prendre le relais et un manque d’adéquation entre les formations et les besoins du marché.

«Le régime de croissance économique au Maroc demeure intensif en capital et, conséquemment, peu créateur d’emplois. En témoigne la stationnarité du taux d’accumulation du capital sur les vingt dernières années, avec une contribution constamment positive à la croissance économique, sauf en 2020 du fait du choc sanitaire. Alors que la contribution du facteur travail est relativement volatile et peut afficher des valeurs négatives, bien que le taux de croissance du PIB puisse être positif. L’élasticité du travail à la valeur ajoutée, ainsi que le contenu en emploi de la croissance économique demeurent relativement faibles au Maroc», souligne Alaoui.

Des initiatives vaines ?

Face à cette situation, le gouvernement a initié plusieurs programmes pour booster l’emploi : Idmaj, Tahfiz, Taehil, Awrach, Ana Moukawil… Une panoplie de dispositifs censés faciliter l’accès au travail, mais qui n’arrivent pas à enrayer la montée du chômage. C’est pour cette raison que l’Exécutif a annoncé un plan d’investissement massif de 14 milliards de dirhams pour stimuler l’emploi et encourager l’entrepreneuriat. L’idée ? Favoriser les investissements à forte valeur ajoutée, améliorer les programmes d’insertion et soutenir les opportunités d’emploi en milieu rural. Très ambitieux. Mais en réalité, sans un changement structurel profond, ces mesures risquent de n’être qu’un pansement sur une jambe de bois, sans effets probants sur le chômage. Un chômage que Hachimi Alaoui estime «tendanciel, avec une composante structurelle liée à la nature du régime de croissance».

En cela, explique-t-il, «au Maroc, l’accumulation du stock de capital se fait à travers des flux d’investissement qui sont financés, en grande partie, par l’épargne extérieure. En ce sens, la formation du capital fixe s’appuie sur des inputs importés, en plus du recours aux services des opérateurs étrangers pour les grands chantiers d’infrastructure, ce qui creuse davantage le déficit de la balance commerciale et détériore la position extérieure du Maroc». Dans ce tableau sombre, il y a néanmoins une lueur d’espoir. Alaoui souligne en effet qu’il est néanmoins «possible de maintenir ce régime de croissance, tout en associant le travail au processus d’accumulation du capital».

A cet égard, explique-t-il, «des mesures fiscales peuvent réduire la dépendance du capital fixe aux inputs importés, en augmentant le coût des importations de biens et services destinés à l’investissement. Cela revient à reconnaître et valoriser le travail domestique, non seulement comme facteur de production, mais aussi et surtout comme une forme de contribution au processus de formation du capital, en particulier dans la construction et l’entretien des infrastructures. Cette réindustrialisation de la production domestique, quoique taxée de protectionnisme, est à même de corriger le biais de ‘tertiarisation prématurée’ dont souffre l’économie du Maroc».

Changer de paradigme

Clairement, le Royaume doit accélérer ses réformes structurelles pour favoriser la création d’emplois durables. Cela passe par trois chantiers majeurs : un changement de paradigme économique, l’agriculture, soumise aux aléas climatiques, ne pouvant plus être le seul moteur de l’économie marocaine; une refonte de l’éducation et de la formation pour adapter les cursus universitaires aux besoins réels des entreprises et renforcer la formation professionnelle; et enfin un environnement plus propice aux PME et aux startups qui doivent être mieux accompagnées en termes de financement et de réglementation. D’ailleurs, Cardarelli ne dit pas autre chose.

Selon lui, «pour stimuler la création d'emplois, il convient de mettre en œuvre une nouvelle approche des politiques actives du marché du travail, en se concentrant sur la main-d'œuvre perdue dans le secteur agricole en raison de la succession des sécheresses. Il faudrait s'attacher tout particulièrement à encourager la croissance des petites et moyennes entreprises (PME) et à favoriser leur intégration dans les chaînes de valeur sectorielles». Le gouvernement saura-til opérer ce virement stratégique nécessaire pour inverser durablement la courbe du chômage ? Saura-t-il sortir du schéma des solutions temporaires et engager enfin le virage d’une croissance réellement inclusive et créatrice d’emplois  ? C’est à voir. En attendant, 1,638 millions de personnes se rongent les ongles sur le banc de touche du marché du travail.

 

Comment concilier assainissement des finances publiques et soutien à la croissance ?
Pour Hachimi Alaoui, «il s’agit surtout de concilier l’objectif à court terme de stabilité macroéconomique, avec un objectif à moyen terme de viabilité de la dette publique. À cet égard, la politique budgétaire au Maroc affiche un profil contracyclique, et ce depuis 2012. Le solde budgétaire global est positivement corrélé au cycle économique, reflétant ainsi des phases de consolidation des finances publiques lors des périodes d’expansion, et un effort budgétaire de relance lors des phases de récession. Certes, il est difficile d’identifier le sens de la causalité entre la conjoncture et le solde budgétaire, puisque les recettes publiques baissent automatiquement lors des phases de récession (effet des stabilisateurs automatiques), quand bien même l’État peut décider de réduire les recettes fiscales pour relancer l’économie (effet de l’impulsion discrétionnaire). Néanmoins, la décomposition du solde budgétaire en composantes cyclique et structurelle permet de déduire une orientation volontairement contracyclique de la politique budgétaire au Maroc. Quoique louables quant à l’objectif de stabilité macroéconomique, ces impulsions budgétaires ne peuvent être maintenues en l’absence d’un espace fiscal, car elles impliquent un creusement du déficit budgétaire et une accumulation de la dette publique. C’est pourquoi les autorités budgétaires au Maroc envisagent d’assigner un objectif à moyen terme à la politique budgétaire, en imposant une règle budgétaire sous forme d’une fonction de réaction du solde budgétaire aux déviations du ratio de la «Dette publique/PIB» par rapport un point d’ancrage. Ce dernier, ainsi que les modalités d’application de la règle budgétaire, seront déterminés dans le cadre de la refonte prévue de la loi organique relative à la Loi de Finances. En somme, les autorités budgétaires aspirent à une stratégie d’arbitrage entre les objectifs à court et à moyen terme des finances publiques, en vue d’implémenter une politique fiscale qui soit saine et soutenable».

 

 

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