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Blanchiment de capitaux : «Le manque de cadres réglementaires clairs crée des zones grises que les criminels peuvent exploiter»

Blanchiment de capitaux : «Le manque de cadres réglementaires clairs crée des zones grises que les criminels peuvent exploiter»

 

- Le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sont des menaces réelles qui causent des dommages socioéconomiques considérables.

- Comment le blanchiment des capitaux se manifeste-t-il au Maroc et quel est son impact sur l'économie marocaine ?

- Entretien avec Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich, expert-comptable et juge près la Cour internationale de résolution des différends «Incodir» à Londres.

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

LaQuotidienne : Quels sont les principaux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme auxquels le Maroc est confronté et comment ces risques ont-ils évolué ces dernières années ?

Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich : Le Maroc, en tant que pays de transit entre l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, fait face à plusieurs risques de blanchiment de capitaux (BC) et de financement du terrorisme (FT).

La proximité avec l'Europe et l'Afrique subsaharienne en fait un point de transit majeur pour le trafic de cannabis, dont les revenus sont souvent blanchis.

Ainsi, ces activités génèrent des fonds illicites intégrés dans l'économie légale via l'immobilier, des entreprises fictives et des transactions commerciales complexes.

Pourtant, une grande partie de l'économie marocaine est informelle, compliquant la traçabilité des transactions et facilitant le blanchiment de capitaux.

Toutefois, le financement de groupes extrémistes peut passer par des canaux officiels et non officiels, incluant des organisations caritatives et des transferts de fonds informes.

A présent, les criminels utilisent des techniques de plus en plus sophistiquées, y compris les cryptomonnaies, pour dissimuler l'origine des fonds illicites. Il est vrai que l'augmentation des échanges commerciaux et des flux financiers illicites complique la détection et la prévention.

En réponse aux pressions internationales et aux recommandations du GAFI, le Maroc a renforcé ses régulations et mécanismes de surveillance, bien que l'application reste un défi en raison de ressources limitées et de la nécessité de former les acteurs concernés.

De ce fait, le Maroc a intensifié sa coopération avec d'autres pays et organisations internationales pour améliorer la détection et la prévention, mais cela nécessite une coordination continue et une adaptation aux nouvelles menaces.

Bien que des progrès significatifs aient été réalisés, les risques de BC/FT au Maroc évoluent constamment et nécessitent une vigilance accrue, des ressources adéquates, et une coopération internationale renforcée.

LQ : Comment évalueriez-vous l'efficacité du dispositif national de LBC/FT au Maroc (ses forces et ses faiblesses) ? Y a-t-il des domaines où des améliorations significatives qui pourraient être apportées ?

Me A.E.K.B : L’évaluation de l'efficacité du dispositif national de LBC/FT au Maroc repose sur deux éléments, à savoir les forces et les faiblesses.

En ce qui concerne les forces, le Maroc dispose d'un cadre législatif robuste avec des lois claires sur le blanchiment de capitaux (BC) et le financement du terrorisme (FT), telles que la loi n°43-05 et sa modification par la loi n°12-18. Aussi, l’unité de traitement du renseignement financier (UTRF) joue un rôle central dans la collecte, l'analyse et la diffusion des informations financières suspectes, coordonnant les efforts nationaux et internationaux. De même qu’une forte collaboration existe entre les banques, les autorités judiciaires, la police et les douanes, facilitant la détection et la prévention des activités suspectes.

Cependant, le Maroc s'efforce de se conformer aux recommandations du Groupe d'action financière (GAFI) et participe activement aux travaux du Gafimoan.

Pour ce qui est des faiblesses, les ressources disponibles sont parfois insuffisantes pour mener à bien les missions de manière optimale. Néanmoins, un besoin constant d'améliorer la formation et la sensibilisation des acteurs impliqués pour une meilleure compréhension des risques et des techniques de BC/FT est recherché.

Aussi, la grande part de l'économie informelle complique la traçabilité des transactions financières, ce qui facilite le blanchiment de capitaux.

Une faiblesse réside également dans les technologies de surveillance et de détection des activités suspectes, qui doivent être continuellement mises à jour pour contrer les nouvelles méthodes de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC/FT).

En revanche, le Maroc doit absolument augmenter les ressources humaines et financières allouées aux institutions chargées de la LBC/FT, notamment l'UTRF.

Et de mettre en place des programmes de formation continue pour sensibiliser aux nouvelles techniques de BC/FT et aux meilleures pratiques internationales.

LQ : Quelle est l'importance de la coopération internationale dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme pour le Maroc ? Comment le pays collabore-t-il avec d'autres États et organisations internationales dans ce domaine ?

Me A.E.K.B : La lutte contre le blanchiment de capitaux (BC) et le financement du terrorisme (FT) est un défi mondial nécessitant une coopération internationale.

Voici pourquoi cette collaboration est cruciale pour le Maroc :

Il faut savoir que les réseaux criminels et terroristes opèrent souvent à l'échelle internationale. La coopération permet de suivre les flux financiers transfrontaliers et de démanteler les réseaux complexes. La collaboration facilite l'échange d'informations et de renseignements, essentiel pour identifier et suivre les activités suspectes.

Le fait de travailler avec des organisations comme le Groupe d'action financière (GAFI) aide le Maroc à aligner ses régulations et pratiques avec les standards internationaux, renforçant ainsi la crédibilité et l'efficacité de son dispositif national.

En outre, la coopération permet de bénéficier de l'expertise et des ressources d'autres pays et organisations, renforçant les capacités nationales en matière de LBC/FT.

Rappelons aussi que le Maroc est membre du Groupe d'action financière du Moyen-Orient et de l'Afrique du nord (Gafimoan), bénéficiant ainsi de l'expertise et des meilleures pratiques internationales.

En plus, le Maroc a signé plusieurs accords bilatéraux et multilatéraux pour faciliter l'échange d'informations et la coopération judiciaire en matière de LBC/FT. Il collabore avec Interpol, Europol et d'autres agences internationales de sécurité.

Le Maroc bénéficie également de programmes fournis par des organisations comme le FMI, la Banque mondiale et l'ONUDC, renforçant les capacités nationales en matière de détection, de prévention et de répression du BC/FT.

L'Unité de traitement du renseignement financier (UTRF) du Maroc collabore avec ses homologues étrangers pour échanger des renseignements financiers, facilitée par l'adhésion du Maroc au Groupe Egmont.

La coopération internationale est essentielle pour le Maroc dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Elle renforce l'efficacité du dispositif national, permet de bénéficier de l'expertise et des ressources d'autres pays et organisations, et aide à harmoniser les pratiques avec les standards internationaux. Le Maroc montre un engagement fort en participant activement à diverses initiatives internationales et en collaborant étroitement avec d'autres États et organisations. Cependant, cette coopération doit être continue et adaptative pour faire face aux menaces évolutives du BC/FT.

 Il est également primordial d’investir dans des technologies avancées de surveillance et d'analyse des données, comme l'intelligence artificielle et le machine learning.

En somme, le Maroc a réalisé des progrès significatifs dans la mise en place d'un dispositif national de LBC/FT, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour surmonter les faiblesses existantes et s'adapter aux évolutions constantes des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

LQ : Comment les nouvelles technologies  (cryptomonnaies et la finance décentralisée), influencent-elles le paysage de la LBC/FT au Maroc ? Quels défis et opportunités ces technologies présentent-elles pour les autorités de régulation et de supervision ?

Me A.E.K.B : Les nouvelles technologies comme les cryptomonnaies et la finance décentralisée (DeFi) ont un impact notable sur la lutte contre le blanchiment de capitaux (LBC) et le financement du terrorisme (FT) au Maroc. Les cryptomonnaies offrent un certain degré d'anonymat, rendant la traçabilité des transactions et l'identification des parties impliquées plus difficiles. En outre, la finance décentralisée fonctionne souvent sans intermédiaires traditionnels, compliquant la surveillance et la régulation des flux financiers.

Ces technologies évoluent rapidement, posant un défi aux régulateurs qui doivent constamment mettre à jour leurs connaissances et cadres réglementaires. Les transactions en cryptomonnaies peuvent facilement traverser les frontières, impliquant plusieurs juridictions et compliquant la coopération internationale. Le manque de cadres réglementaires clairs et harmonisés crée des zones grises que les criminels peuvent exploiter.

Cependant, ces technologies peuvent également améliorer la surveillance et la détection des activités suspectes. Par exemple, la blockchain permet de tracer les transactions de manière transparente et immuable. Les technologies de la blockchain et de DeFi (finance décentralisée) peuvent automatiser et améliorer les processus de conformité, rendant les systèmes financiers plus robustes contre le LBC/FT. Elles facilitent également la coopération et l'échange d'informations entre les autorités de différents pays, renforçant ainsi les efforts internationaux.

Le Maroc peut répondre à ces défis en mettant en place des cadres réglementaires spécifiques pour encadrer l'utilisation des cryptomonnaies et de la DeFi, en investissant dans la formation et la sensibilisation des régulateurs et des acteurs du secteur financier.

En conclusion, les nouvelles technologies présentent à la fois des défis et des opportunités pour la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Maroc. Les autorités doivent s'adapter rapidement à ces évolutions pour renforcer la résilience du système financier. En adoptant des stratégies appropriées et en restant vigilant face aux évolutions technologiques, le Maroc peut mieux gérer les risques tout en tirant parti des opportunités offertes par ces technologies innovantes.

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