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Paralysie des tribunaux : Addition salée pour l’économie nationale

Paralysie des tribunaux : Addition salée pour l’économie nationale

Le secteur de la justice marocain est plongé dans une tourmente sans précédent, avec des manifestations incessantes qui perturbent les tribunaux et désarçonnent un système déjà mal-en-point. Cette situation a un impact significatif sur les entreprises marocaines, surtout celles impliquées dans des litiges commerciaux.

 

Par M. Boukhari

Le secteur de la justice marocain traverse une crise profonde, marquée par des grèves répétées et une montée au créneau des différentes professions judiciaires, notamment les greffiers, les huissiers de justice et les avocats. Cette situation, qui paralyse le fonctionnement des tribunaux, entraîne des pertes économiques significatives et soulève des préoccupations quant à l'avenir du système judiciaire marocain. Les greffiers, qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des tribunaux, réclament une modification de leur statut professionnel. Bien que des négociations aient été engagées l'année précédente avec les centrales syndicales, les promesses de réforme semblent stagner en raison de blocages au niveau du ministère de l'Économie et des Finances.

Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait initialement prévu des retenues sur les salaires des grévistes, mais cette mesure a été reportée, reflétant une volonté d'apaiser les tensions. Les grèves menées par les greffiers ont eu des conséquences financières importantes. Les tribunaux marocains ont enregistré une perte estimée entre 3,8 et 4 millions de dirhams pendant cette période de crise. Les tribunaux de commerce de Casablanca, en particulier, ont subi une perte comprise entre 1,3 et 1,5 million de dirhams. Qui plus est, ce mouvement de contestation a également eu un impact direct sur le traitement des affaires juridiques à l’échelle nationale.

«Les affaires en cours ont été reportées à une date ultérieure, qui coïncide avec un autre jour de grève. Cela entraîne une accumulation des dossiers déjà en attente, auxquels s'ajoutent de nouvelles affaires. En conséquence, les audiences deviennent encombrées, avec potentiellement entre 100 et 500 dossiers à traiter par seulement trois magistrats. Ces derniers se retrouvent dans l'impossibilité d'instruire et de juger correctement les dossiers, ce qui nuit à la qualité des décisions rendues», affirme Omar Azougar, avocat au barreau d’Agadir, Paris et Montréal et docteur en droit. Selon lui, cette situation a engendré un encombrement croissant des affaires civiles et pénales.

«Les magistrats, confrontés à une charge de travail insurmontable, doivent juger une cinquantaine de dossiers en seulement deux ou trois jours. Cela conduit à des décisions de justice souvent peu convaincantes, tant pour les magistrats que pour les avocats et les conseillers juridiques. Cette situation entraîne une perte de confiance chez les justiciables, qui s’interrogent sur la qualité du traitement de leur dossier», dixit Azougar.

Les justiciables…, grands perdants

Omar Azougar explique par ailleurs qu’en termes économiques, le problème ne se pose pas réellement pour l’Etat, en raison de l’absence de pertes économiques directes. Toutefois, il soulève une autre problématique qu’est la présence de milliers de fonctionnaires qui perçoivent des salaires sans fournir de contrepartie en raison des grèves. En outre, Azougar précise que la véritable perte économique réside dans le fait que les magistrats, qui sont disponibles pour juger et accomplir leur mission, se retrouvent dans une situation délicate. «Ils n’arrivent pas à maintenir les audiences en raison de l'irrégularité de la formation des tribunaux, souvent causée par l'absence de greffiers. Si la formation du tribunal n'est pas conforme à la loi, tous les jugements rendus peuvent être déclarés nuls», insiste-t-il. Les justiciables, eux aussi, se trouvent pris dans les filets de cet engrenage, étant considérés comme le maillon faible de ce système.

«Le justiciable voit son dossier traîner sans aucune visibilité. Le principe d’un procès dans un délai raisonnable est à la fois constitutionnel et juridique, et il s'agit d'un droit fondamental. Malheureusement, une personne poursuivie pour un simple délit peut se retrouver en détention provisoire pendant 5 à 7 mois, alors que son dossier aurait dû être jugé dans un délai précis et raisonnable», souligne le docteur en droit. Cette situation a des répercussions directes non seulement sur le système judiciaire, mais également sur les avocats, dont 70 à 73% se retrouvent dans une situation financière difficile à cause de la paralysie du secteur, apprend-on de source sûre.

«La situation difficile que rencontrent la majorité des avocats à raison de 70 à 73% en raison des crises, souligne l'impact profond que les perturbations du système judiciaire peuvent avoir sur les professionnels du droit. Les retards dans les procédures judiciaires et la paralysie des tribunaux peuvent réduire le nombre de cas traités, affectant directement les revenus des avocats qui dépendent de la progression des affaires pour leur subsistance. De plus, ces crises peuvent également accroître le stress et l'incertitude professionnelle, rendant la pratique du droit plus complexe et moins prévisible. Cela met en évidence la nécessité de réformes pour améliorer l'efficacité du système judiciaire, afin de soutenir non seulement les justiciables, mais aussi les professionnels du droit qui jouent un rôle crucial dans le fonctionnement de la justice», détaille Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich, juge près la Cour internationale de résolution des différends «Incodir» à Londres.

Les «robes noires», représentées par l'Association des barreaux du Maroc, ont alors pris position. Le 3 octobre 2024, les avocats ont décidé de boycotter les audiences pénales pendant deux semaines, sauf pour les délais légaux, et d'organiser des manifestations hebdomadaires dans divers tribunaux. Leur démarche est le reflet d'un profond mécontentement face à l'absence d'initiatives sérieuses pour améliorer les conditions de travail dans le secteur de la justice.

Perturbations financières

Par ailleurs, la paralysie des tribunaux a un impact significatif sur les entreprises marocaines, surtout celles impliquées dans des litiges commerciaux. «Les retards dans le traitement des affaires peuvent entraîner des perturbations financières, des difficultés à faire respecter les contrats et un manque de résolution rapide des conflits, ce qui peut nuire à la planification et à la stabilité des entreprises. La digitalisation du système judiciaire pourrait effectivement contribuer à améliorer l'efficacité des tribunaux en accélérant le traitement des affaires, en réduisant les délais et en rendant le système plus accessible et transparent», fait savoir Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich. Notons que les retards accumulés dans le système judiciaire peuvent aussi entraîner un risque de perte de confiance dans la justice marocaine à long terme. Ce qui évidemment n’est pas sans conséquences sur les investissements étrangers au Maroc.

«Les retards dans le système judiciaire marocain peuvent nuire à la confiance et affecter la réputation internationale du pays, réduisant son attractivité pour les investisseurs étrangers. Ceux-ci recherchent des environnements offrant une résolution rapide et équitable des litiges. L'arbitrage, grâce à sa rapidité, sa confidentialité et sa flexibilité, renforce cette confiance en étant une alternative efficace aux procédures judiciaires traditionnelles. En améliorant l'accès à l'arbitrage, le Maroc peut rehausser sa réputation et attirer plus d'investissements, assurant ainsi une protection et une résolution efficace des différends pour les investisseurs», renchérit Boutchich.

Tuer la confiance

Pour sa part, Me Omar Mahmoud Bendjelloun, docteur en droit international, avocat et universitaire, précise que «le responsable de la crise est le gouvernement, notamment avec ses révisions législatives en matière de procédures civiles et pénales et de professions judiciaires qui changent dans le mauvais sens le visage et le fonctionnement de la justice. C'est cette offensive, notamment attentatoire au procès équitable, à la défense des justiciables individus et entreprises, à l'avocature, qui continue de tuer la confiance entre la société et la justice, et donc aussi entre la société et l'Etat».

Le 5 octobre 2024, l’Ordre national des huissiers de justice a tenu une assemblée générale extraordinaire à Rabat. Les membres ont décidé de mener une grève nationale d’avertissement d’une semaine du 14 au 19 octobre, ainsi qu’une suspension des notifications dans les affaires correctionnelles à partir du 21 octobre. Cette mobilisation s’inscrit dans un contexte où les projets de loi récents ne répondent pas aux attentes des huissiers de justice, et où des préoccupations sur leurs droits et dignité professionnelle sont clairement exprimées. 

 

 

 

 

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