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Système sanitaire: «La santé doit au minimum bénéficier de 8% du budget de l’Etat»

Système sanitaire: «La santé doit au minimum bénéficier de 8% du budget de l’Etat»

Sur la base d’une étude consacrée au système de santé, Jaâfar Heikel, épidémiologiste, professeur de médecine préventive, spécialiste des maladies infectieuses et économiste de la santé, nous livre dans cet entretien les défis en termes de budgétisation et de parcours de soins auxquels est confronté le système de santé national, surtout après les difficultés relevées par la Covid-19.

 

Propos recueillis par B. Chaou

 

Finances News Hebdo : Quel impact a eu la crise sanitaire de la covid-19 sur le système de santé au Maroc ?

Jaâfar Heikel : Je pense que la Covid-19 n’a pas créé qu’une crise sanitaire seulement, mais aussi une crise sociale et économique, que ce soit au Maroc ou ailleurs. Le volet sanitaire est simplement un des trépieds des conséquences. La première conséquence, c’est que nous nous sommes aperçus de la vulnérabilité des systèmes de santé à travers le monde. Le premier exemple, c’est le système italien qui s’est quasiment écroulé sous le flux des patients. Il a montré son incapacité à fournir des soins intensifs ou de réanimation pour tous les patients, lui imposant des choix pénibles et difficiles. Tous les systèmes de santé à travers le monde ont été débordés à cause d’une problématique commune : ils n’étaient pas préparés et ils n’étaient pas suffisamment résilients pour faire face à un afflux massif de patients dans un contexte pandémique. C’est la première fois d’ailleurs dans l’histoire de l’épidémiologie qu’une pandémie met à genoux les systèmes de santé dans le sens le plus large du terme.

Et la deuxième conséquence, c’est la mise sous pression de tout le système hospitalier, conduisant à sa non-utilisation par les autres malades, et en particulier ceux souffrant de maladies chroniques tels le diabète, l’hypertension, ou encore l’insuffisance rénale. Ces patients ont subi la pression de la covid-19 sur le système de santé, et beaucoup ont eu des retards de diagnostic et de prise en charge. S’agissant de la troisième conséquence, elle concerne l’organisation du système de santé. Dans certains pays, dont le Maroc, nous nous sommes aperçus que les mécanismes de partenariat public-privé n’étaient pas optimaux en termes d’offres de soins, et que des besoins de base comme les tests de diagnostic manquaient. Malheureusement, les personnes habituées à prendre en charge ce genre de pathologie n’étaient pas préparées et pas suffisamment importantes en nombre pour faire face à l’afflux des patients (manque d’infectiologues, de réanimateurs, entre autres). Voici globalement les conséquences de cette crise sanitaire, observées partout dans le monde. Nous devons tout de même féliciter le Maroc pour sa gestion de la crise, et sa réactivité qui a nécessité énormément de moyens financiers grâce à des décisions royales clefs. Les indicateurs phares de la pandémie ont été parmi les plus optimaux dans le monde, comme le nombre de cas graves hospitalisés et la létalité.

 

F.N.H. : Sur la base de votre étude, quelles sont les incohérences relevées en termes de rationalisation du budget et sa répartition ?

J. H. : Partout dans le monde, y compris dans le système marocain, les budgets de santé sont toujours à relativiser par rapport aux trépieds de la demande, besoin et offre. Si nous suivons les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou encore la déclaration d’Abuja, les budgets de santé devraient se situer entre 10% et 15% du budget total de l'État. Mais actuellement, nous en sommes très loin, car le Maroc est plutôt aux alentours de 6%. Ce qui est problématique chez nous, c’est que l’augmentation du budget de la santé au cours des 15 dernières années est relative et à relativiser, car ce dernier représente toujours entre 5,8 et 6% du PIB. La santé au Maroc gagnerait à bénéficier d’au moins 8% du budget total de l’Etat, réserver au minimum 25% de ce budget à la prévention, réduire les dépenses inutiles et faire en sorte d’optimiser la gouvernance des systèmes de santé par une meilleure fluidité du parcours du patient.

C’est le premier point quantitatif, mais il y a aussi le volet qualitatif à prendre en compte, qui concerne la répartition du budget de la santé et son utilisation. Cette répartition pose problème au Maroc, car les clés de la répartition ne sont pas toujours évidentes et, très souvent, les politiques privilégient le curatif au préventif parce que le curatif donne des résultats «plus rapides» et «plus visibles». Alors que le préventif prend des années avant que l’on puisse voir ses résultats. Le budget est donc un élément qui va jouer un rôle important, mais ce n’est pas une fin en soi. L’augmentation du budget de la santé non accompagné d’une répartition beaucoup plus logique vers les régions et dans le cadre d’une adéquation besoin-demandeoffre, serait inutile.

 

F.N.H. : Quel constat tirez-vous des coûts de soins ?

J. H. : Notre étude a montré un parcours de soin erratique et illogique qui fait beaucoup dépenser aux citoyens, et qui ne fait rien gagner à l’Etat. Je rappelle que le premier contributeur au système de santé au Maroc est le citoyen et non le ministère de la Santé. Ce dernier ne participe qu’à hauteur de 27% des dépenses au moment où le citoyen contribue pour 63% (50,7% de contribution directe et 12,6% de contribution à la couverture médicale de base). Nous sommes l’un des premiers pays au monde où les dépenses de santé sont en grande partie supportées par les citoyens. Il est à rappeler que l’OMS considère comme dépenses de santé «catastrophiques» une contribution des ménages à 25% et plus. Il faut faire en sorte que l’organisation de financement de notre système de santé connaisse une plus grande part contributive de l’Etat et des régions (collectivités locales) et que la complémentarité vienne des ménages (impôts ou assurances privées complémentaires) pour qu’ils ne soient pas le principal contributeur. Ce que nous avons aussi relevé comme incohérence, c’est que le soin pour certaines pathologies coûte plus cher dans le secteur public que dans le privé.

Le second constat est que les gens du secteur public dépensent plus que les salariés du privé pour les mêmes pathologies, avec un écart dans certains cas de 300%. L’autre précision est que des dépenses comme le séjour et le médicament, qui sont des postes extrêmement importants dans le secteur privé, sont totalement en inadéquation avec ce qui est observé dans le secteur public, alors qu’il ne devrait pas y avoir de grands écarts. Nous remarquons aussi que les personnes qui ont une couverture médicale ou une assurance maladie, qu’elle soit AMO ou privée, font dans 90% des cas le choix de se faire soigner dans le privé. Cela impacte la poche du citoyen car il est plus cher de se faire soigner dans le privé que dans le public. Le dernier constat est qu’à peu près 26% des Ramedistes se font soigner dans le privé, et c’est là la double peine de ce parcours de soin.

 

F.N.H. :Comment le partenariat publicprivé pourrait-il contribuer à l'amélioration du parcours des patients ?

J. H. : Dans la santé, le partenariat publicprivé est essentiel, et nous l’avons vu dans le cadre de la Covid-19 dans la première phase de la pandémie. Heureusement que le secteur privé était présent aux côtés du secteur public pour contribuer à la prise en charge des malades. Par ailleurs, je vois ce partenariat public-privé dans la réponse à des pathologies et dans l’investissement dans les systèmes de santé quand l’Etat n’en a pas les moyens. Par exemple, dans le cadre de l’hémodialyse, le privé a pris en charge beaucoup de patients et c’est l’Etat marocain qui payait pour ces gens là. Je vois aussi ce partenariat en biologie, en radiologie et dans différentes disciplines, mais à condition qu’il soit «win-win», pas que dans sa composante financière, mais aussi humaine et de transferts de valeur ajoutée. Cependant, le partenariat public-privé n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen pour mettre en commun les compétences et les outils de chacun pour un objectif unique, améliorer la santé des citoyens. Même si ce partenariat doit se conceptualiser au niveau national, il doit être pensé sur le plan régional.

 

F.N.H. : Comment rendre efficace la couverture sanitaire universelle selon-vous ?

J. H. : Il est extrêmement important d’élargir la couverture sanitaire universelle, mais dans une autre perspective. Nous pouvons imaginer qu’au niveau des régions, les assurances privées et les collectivités locales contribuent à la mise en place d’un fonds de sécurité sociale qui puisse bénéficier aux personnes n’ayant pas accès aux services de santé. A ce moment-là, il faut définir le paquet de soins minimum au niveau de chaque région et mettre en place des mécanismes pour avoir une équité de traitement des patients. Pour des services supplémentaires, ils paieront un ticket modérateur, que ce soit à partir d’une assurance complémentaire du privé ou sous une autre forme de cotisation. Mais le plus important est que la couverture sanitaire universelle ait sa dimension universelle, car l’accès actuellement est partiel et non total aux citoyens. En réfléchissant à un partenariat public-privé plus structurant et plus pérenne en matière de couverture sanitaire universelle, nous allons clairement pouvoir améliorer l’accès des citoyens aux services de santé.

 

F.N.H. : Afin d'avoir un système de santé résilient et efficace, à combien pourrait-on évaluer le besoin en termes de budget ? Et vers quels types de besoins irait-il ?

J. H. : Il est évident que le budget consacré à la santé doit être revu à la hausse. Nous pouvons procéder à son amélioration par étape, en le ramenant dans un premier temps à 8% du budget général de l’Etat, puis à 10% d’ici cinq ans par exemple. La crise de la Covid-19 nous a montré l’importance de relever le budget de la santé pour le porter à un niveau acceptable. Mais l’enjeu sera bien évidemment la répartition de ce budget. Nous devons aussi axer l’effort dans la prévention sur les maladies chroniques (78% des décès au Maroc) qui coûtent aujourd’hui cher à l'État, ainsi que dans les ressources humaines et les infrastructures dans le cadre du partenariat public-privé, tout en faisant participer les collectivités locales. Une refonte du système de santé demandée par Sa Majesté depuis 2018 nécessite de ne pas persister dans les mêmes erreurs de gouvernance, de changer de paradigme en matière de politiques publiques sanitaires et sociales.

 

 

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