Un très bon cru au premier semestre avec +13% de nuitées, 67 Mds de DH de recettes en devises et +16% de touristes internationaux. Une dynamique portée par une synergie entre tous les acteurs. Entretien avec Said Tahiri, économiste, opérateur et expert en tourisme.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo: Comment analysez-vous les principaux facteurs ayant contribué à la hausse de plus de 13% des nuitées touristiques au Maroc au premier semestre 2025, en particulier la forte croissance de la clientèle internationale ?
Said Tahiri : C’est une belle performance du tourisme au Maroc qui peut s’expliquer par une combinaison de facteurs :
• D’abord, un travail de fond a été mené par les professionnels du secteur. Depuis la reprise, ils ont pris leur bâton de pèlerin, sillonné le monde et participé à de nombreux salons spécialisés. L’objectif est de convaincre les tour-opérateurs et les marchés internationaux de la pertinence de la destination Maroc. Ils ont présenté les innovations dans l’hôtellerie, les sites d’animation, les offres promotionnelles et les nouveaux packages. Cette dynamique de commercialisation est portée collectivement par les professionnels, la Confédération nationale du tourisme, l’ONMT et le ministère de tutelle.
- Il y a aussi le redémarrage soutenu de la demande internationale après les années post-pandémie.
- L’augmentation des capacités aériennes et l’ouverture de meilleures liaisons directes, low-cost et long-courriers, nous a énormément aidé.
Un effort considérable a également été mené par l’ONMT, qui a pris le lead pour convaincre des compagnies aériennes d’ouvrir de nouvelles routes. A ce sujet, force est de rappeler la corrélation entre ouverture/ addition de liaisons aériennes et l’évolution des nuitées. En effet, plus nous multiplions les liaisons directes et le point à point, plus le voyage devient accessible et moins contraignant, ce qui favorise notamment la prolongation de la durée moyenne de séjour. Nous sommes donc en train de récolter les fruits d’un travail sérieux, où le tourisme redevient une priorité stratégique, où tous les acteurs travaillent en synergie et en bonne intelligence, en team Maroc, en faveur de la destination Maroc. Cette progression est portée par la clientèle internationale (+16% pour les touristes étrangers de séjour), mais aussi par les Marocains du monde et le tourisme national, même si leur taux de croissance est plus modéré.
F. N. H. : Quelle lecture faites-vous de l’impact économique des recettes touristiques en devises, qui ont atteint 67 milliards de dirhams à fin juillet 2025 (+13% par rapport à 2024) ?
S.T. : Atteindre 67 milliards de dirhams de recettes touristiques à fin juillet 2025, en hausse de + 13% par rapport à 2024, est un signal économique fort. Cela confirme la position du secteur du tourisme comme 1er secteur pourvoyeur de devises au Royaume. Ces indicateurs confirment aussi que ce qui a été injecté dans le secteur n’est pas une dépense, mais bien un investissement rentable. Cela améliore la balance des paiements, augmente les capacités économiques de notre pays, sans tension sur le change, et stimule plusieurs secteurs en amont (transport aérien, hôtellerie, restauration, animation, construction et BTP, biens d’équipement…). Le tourisme étant parfaitement un secteur transversal.
Cela dit, au-delà de l’impact macroéconomique (renforcement des réserves en devises, contribution au PIB, valeur ajoutée, emploi…) et aussi de l’impact micro économique et territorial, les 11,6 M de touristes qui ont visité notre pays durant les 7 derniers mois, et les millions d’autres qui fouleront notre sol sont une formidable occasion de faire rayonner le Royaume. Un Maroc nouveau, innovant, travailleur, où il convient d’investir, une hospitalité légendaire, une culture et un patrimoine de plusieurs siècles, des valeurs partagées par une population à l’hospitalité exemplaire, loin des clichés qui peuvent être lus ici et là. Des valeurs de partage qui montrent que le tourisme est aussi un véritable levier de développement social et sociétal.
F. N. H. : Dans quelle mesure les grandes villes comme Tanger, Casablanca et Fès bénéficient-elles structurellement de cette dynamique touristique par rapport à d’autres régions du Royaume ?
S. T. : Les données de l’Observatoire du tourisme montrent que certaines villes ont effectivement surperformé, notamment Tanger (+24%), Casablanca (+18%), Fès (+16%) sur cette période considérée. Ces villes bénéficient d’atouts importants avec des aéroports bien connectés, une offre hôtelière diversifiée, une infrastructure d’événements (MICE) et une densité d’attractions culturelles et d’animations urbaines qui captent à la fois aussi bien les touristes internationaux, les Marocains du monde que les familles marocaines.
D’autres régions comme Essaouira, Tamuda Bay, Saïdia… progressent aussi, mais peuvent être plus saisonnières ou dépendantes d’un segment (plage, Resorts…). Cela dit, Marrakech et Agadir continuent à représenter la part du lion des arrivées et des nuitées touristiques. Ces deux villes irriguent le reste du Maroc touristique grâce à des circuits comme celui du Grand Sud ou des villes impériales. Mais il est plus qu’urgent de se pencher sérieusement sur une croissance territorialisée et durable. Pour cela, il faut investir dans l’accessibilité telles que routes, vols et tunnel, la formation de ressources humaines locales et des produits différenciés (tourisme rural, slow et tourisme expérientiel).
F. N. H. : Comment interprétez-vous la progression notable des arrivées en provenance des marchés européens (France, Espagne, Royaume-Uni, Italie ...) et nord-américain ? Quelles implications pour la stratégie de diversification des marchés émetteurs ?
S. T. : D’abord, il s’agit de nos marchés historiques, où il faut continuer à créer des offres ciblées (produits liés à ces marchés, packages «city break» pour Européens, combinés golf/spa pour segments premium…), renforcer la connectivité saisonnière et les partenariats avec TO et low-cost. Cela n’est pas suffisant, car il faut penser à la diversification pour ne pas dormir sur nos lauriers et se reposer uniquement sur le marché européen. Pour cela, il faut repenser notre stratégie marketing et renforcer nos lignes directes vers :
• L’Amérique du Nord (USA/ Canada), pour le tourisme haut de gamme et la diaspora;
• Le Moyen-Orient/GCC, notamment pour le tourisme premium et MICE (Réunionsvoyages de motivation-conférences et expositions/événements);
• L’Asie (Chine, Inde, Asie du Sud-Est) à moyen terme, à travers des accords favorisant la connectivité avec ces pays, à très fort potentiel d’émission de touristes;
• L’Afrique, pour profiter de l’effet CAN et au-delà, et être un hub pour les arrivées de notre continent.
Cette diversification permettra de réduire le risque de chocs géographiques et d’améliorer la résilience de notre secteur. Il faut aussi créer des produits différenciés par marché. L’ONMT a une excellente data et a réalisé des études de très grande pertinence. Il faut savoir en profiter et en faire bénéficier les opérateurs. Il faut optimiser l’hôtelier et stimuler les dépenses locales, à savoir les excursions, la gastronomie et le retail. Il est primordial d’apporter un véritable soutien à l’offre locale, notamment former, labelliser l’offre de qualité et promouvoir des normes de services pour convertir une fréquentation en recettes plus élevées. Ces indicateurs (+13% de nuitées et 67 MMDH de recettes en devises à fin juillet 2025) confirment que le tourisme est redevenu un moteur puissant pour l’économie marocaine. La priorité maintenant est d’optimiser la qualité de l’offre, d’améliorer la connectivité et de diversifier les marchés émetteurs pour transformer cette affluence en retombées durables et équitablement réparties sur l’ensemble du territoire.
F. N. H. : Quel rôle attribuez-vous aux Marocains résidant à l’étranger (MRE) dont les arrivées ont augmenté de plus de 10%, dans la structuration et la soutenabilité de la croissance touristique nationale ?
S. T. : Les Marocains du monde jouent un rôle central dans la dynamique touristique nationale. Ils représentent près de la moitié des arrivées aux postes frontières, et leur contribution dépasse la simple dimension conjoncturelle liée aux vacances d’été. Ils représentent un socle stable de la demande touristique, une clientèle fidèle moins sensible aux crises géopolitiques ou aux fluctuations économiques internationales. D’ailleurs, dès la reprise post-pandémique, ils ont afflué au Maroc et ont tiré la demande. Une croissance qui s’est confirmée sur les 3 dernières années.
Un débat s’est fortement répandu ces derniers mois sur le rapport qualité prix, la cherté de la destination, et le fait que plusieurs RME auraient boudé la destination Maroc. Je pense que c’est un faux débat et les statistiques le confirment. L’augmentation de plus de 10% de leurs arrivées en 2025 confirme qu’ils constituent un marché de base indispensable, qui amortit les risques de volatilité de la demande étrangère classique. Au-delà des arrivées, leur contribution est tout aussi significative en devises et en transferts financiers. Par contre, leur consommation touristique est différente de celle des touristes étrangers de séjour (TES). Leur consommation est en effet variée (un peu d’hébergement, beaucoup plus de restauration, de transport, d’animation et de loisirs).
De plus, une partie de leurs transferts financiers est réinjectée dans des activités touristiques ou para-touristiques. Les Marocains du monde sont aussi un levier de structuration de l’offre, puisqu’ils ont des attentes spécifiques : qualité de service, confort, authenticité et rapport qualité-prix. Leur fidélité conditionnelle pousse les opérateurs à rehausser les standards et à diversifier les produits. Ils contribuent ainsi indirectement à la professionnalisation et à la modernisation du secteur. Par ailleurs, étant des ambassadeurs naturels du Maroc à l’international, ils jouent un rôle de promotion naturelle et gratuite du Maroc à l’étranger, en incitant leurs amis, collègues et réseaux à découvrir la destination.
Cet effet bouche-à-oreille est un facteur de notoriété et de diversification des marchés émetteurs Force est de rappeler que les MDM jouent un rôle important dans la soutenabilité et la résilience de la destination. Ils reviennent régulièrement, plusieurs fois dans l’année, privilégient souvent des régions moins saturées et consomment des produits locaux, ce qui favorise la répartition territoriale des flux et l’ancrage durable du tourisme dans les économies locales.