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Vaccination anti-Covid-19: «Il faut rester vigilant, même avec l’immunité collective»

Vaccination anti-Covid-19: «Il faut rester vigilant, même avec l’immunité collective»

 

Plusieurs stratégies ont été mises en place par le ministère de la Santé pour mener à bien cette campagne de vaccination, notamment la plateforme LiqahCorona.ma et le numéro vert 1717.

Au 2 mars, plus de 3,5 millions de Marocains ont été vaccinés.

Entretien avec le Dr Tayeb Hamdi, chercheur en politiques et systèmes de santé, vice-président de la Fédération nationale de la santé, et président du Syndicat national de médecine générale.

 

Propos recueillis par ibtissam. Z.

 

Finances News Hebdo : En donnant le coup d’envoi de la campagne de vaccination, le 28 janvier 2021, le Roi Mohammed VI a montré la voie. Depuis, cette campagne suit-elle un rythme constant et prononcé ?

Dr Tayeb Hamdi : Après l’apparition de la pandémie fin 2019, et son déclenchement au début de l’année 2020, comme annoncé par l’OMS, une question s’imposait. Parviendronsnous à avoir un vaccin ? En effet, les vaccins demandent énormément de temps. Il faut rappeler que pour concevoir un vaccin, la durée moyenne dans l’histoire de la médecine humaine est d’environ 10 ans (10,7). Prenons l’exemple du virus du VIH : cela fait 40 ans de recherche et on attend toujours un vaccin. Comme vous le savez, l’humanité a pu obtenir des vaccins anti-Covid en moins d’une année, et ça c’est un réel exploit scientifique. Il faut savoir qu’on ne peut pas étouffer une épidémie avec un vaccin sûr et efficace. Les études ont montré que même avec un vaccin performant, on ne peut pas arrêter la propagation du virus si nous n’avons pas l’adhésion de la population. Il faut arriver à atteindre une proportion importante de la population vaccinée pour avoir l’immunité collective.

En ce qui concerne le Maroc, l’intervention de Sa Majesté le Roi Mohammed VI était anticipative, proactive pour justement obtenir le vaccin. Nous avons pu avoir les doses dès le mois de janvier. Bien évidemment, on s’est posé la question de savoir si les Marocains allaient adhérer à cette campagne, sachant qu'en général les citoyens font confiance à la vaccination. Le Maroc est aussi un exemple en matière de vaccination des enfants; nous sommes un pays qui sait vacciner. Le 28 janvier 2021, le geste royal de Sa Majesté, qui a reçu la première dose, a donné un coup de fouet à cette confiance et à cette campagne de vaccination. Cela nous a permis, 4 semaines après le démarrage de la campagne, d’atteindre plus de 3,5 millions de Marocains vaccinés. Et si nous avions plus de doses, nous aurions pu vacciner plus de personnes. Je pense que les choses vont dans le bon sens et on espère recevoir nos prochaines livraisons de doses de vaccins dans les délais prévus.

 

F.N.H. : Peut-on dire que le Maroc est un exemple en matière de vaccination anti-Covid-19, d’autant que plusieurs médias étrangers ont mis en exergue les efforts consentis et concertés du Royaume pour assurer la campagne de vaccination ?

Dr T. H. : A mon sens, le Maroc est un modèle à suivre, même si notre pays n’a pas les moyens financiers des Etats- Unis, de l’Allemagne ou de la France. Ce sont ces pays qui se sont accaparés la part du lion des lots de vaccins. Pour rappel, la production de Moderna sera achetée par les pays riches. 95% des vaccins de Pfizer sont déjà achetés par les puissantes nations. 70 pays dans le monde ne pourront accéder aux vaccins qu’en 2022, et durant l’année en cours, ils ne pourront vacciner qu’une personne sur 10. A la lecture de ces données, on ne peut être que satisfait. Après un mois, 8% des Marocains sont déjà vaccinés. C’est un exploit et, par conséquent, nous sommes un modèle, en tenant compte de ce qui se passe ailleurs, notamment à l’étranger. En Allemagne, en France ou en Espagne, par exemple, ils en sont autour de 7%. Nous sommes en phase d’atteindre le premier objectif de la vaccination, celui de protéger les frontliners, à savoir les personnes âgées et celles qui souffrent de maladies chroniques. Notre 1er objectif est de protéger les plus vulnérables, désengorger les services de réanimation et faire chuter les décès. Le 2ème objectif est de contrôler l’épidémie et, justement, en protégeant les plus vulnérables, nous pourrons atteindre cet objectif dans la sérénité. Quant au dernier objectif, c'est d’arriver à l’immunité collective.

 

F.N.H. : Possède-t-on un stock suffisant de vaccins et lequel sera utilisé pour les catégories concernées ?

Dr T. H. : Aujourd’hui, le Maroc a reçu 8 millions de doses sur les 66 millions commandés. C’est déjà un très bon stock par rapport à d’autres nations plus avancées économiquement parlant. Est-ce suffisant pour immuniser les catégories ciblées ? Il faut dire qu’au sein du département de la Santé, on élargit la limitation de l’âge et les maladies chroniques, selon les livraisons. Par exemple, si nous recevons une quantité d’un million de doses, nous savons qu’elle sera suffisante pour vacciner les 65 ans et plus. On adapte les objectifs, les catégories et les cibles de la campagne de vaccination.

On vaccine les personnes à partir de 60 ans et celles qui souffrent de maladies chroniques; les groupes vulnérables sont donc prioritaires... Si l'on parvient à vacciner ce groupe, une bonne partie du travail sera accomplie et le premier objectif sera atteint, c’est-à-dire vider les hôpitaux, voir la courbe des décès chuter et par la suite les efforts du système de santé seront déployés vers l’élargissement de la campagne de vaccination et atteindre les deux autres objectifs, à savoir contrôler l’épidémie et atteindre l’immunité collective.

 

F.N.H. : Les personnes ayant déjà pris leur 2ème dose du vaccin sont-elles immunisées et à l’abri d’une nouvelle contamination au Sars-CoV 2 ?

Dr T. H. : Tous les vaccins nécessitent deux doses, à l’exception de Johnson & Johnson qui est administré en une seule injection et qui sera dans les prochains jours validés dans le monde. Au Maroc, on utilise Sinopharm et AstraZeneca qui nécessitent, bien entendu, deux doses. Dès la prise de la première dose du vaccin, l’immunité commence déjà à fonctionner. L’organisme est alors réactif, en produisant des anticorps. Après deux semaines de la première prise, le corps humain commence à être protégé. Les études d’AstraZeneka ont démontré qu’après la première injection, on atteint 75% d’efficacité. C’est-à-dire que parmi les personnes qui ont reçu le 1er vaccin, les deux tiers ne contaminent plus les autres.

Désormais, ils ne sont plus contaminateurs et cela est extrêmement important. Mais il faut savoir que pour ces personnes qui ont été vaccinées, cette immunité n’est pas durable, elle va s’éteindre. C’est pour cela qu’il y a une seconde injection pour rappeler et booster l’immunité qui est créée lors de la première injection. C’est pour dire que la 2ème dose s’impose impérativement, elle est nécessaire. Maintenant, après la 2ème dose, l’efficacité augmente et devient durable, mais pour combien de temps ? Peut-être 6 mois, 1 an, 2 ans, 5 ans, on ne sait pas exactement, puisque c’est tout récent. Il faut attendre, donner du temps au temps, mais déjà les scientifiques attestent que chez les jeunes, ces doses vaccinales donneront une immunité de 2 à 4 ans, voire plus.

Du côté des personnes âgées et vulnérables, il est possible de se faire vacciner chaque année. C’est une supposition, car pour l’instant rien n’est encore sûr. Il nous faut donc une première et une deuxième injection et attendre deux à trois semaines après la 2ème prise, pour être vraiment immunisé. Environ 80% des personnes seront protégées, mais il y aura une partie qui ne sera pas protégée. Quand on parle de l’efficacité de 90%, c’est-à-dire que la population qui a reçu ces doses vaccinales aura développé une immunité protectrice. Mais les 10% qui n'ont pas développé cette immunité seront protégés par l’immunité collective. Il faut savoir que lorsque l’on reçoit le vaccin, on est protégé presque à 100% contre les formes graves de la Covid-19. Je m’explique: je suis vacciné et même si je ne fais pas partie des 80% des personnes qui ont développé des anticorps, si par exemple je chope le Coronavirus, je ne vais développer qu’une forme légère à moyenne. Je ne vais pas être atteint de la forme grave, et ce point-là est très important.

Dernier point à soulever sur les dernières études : après une première vaccination, on a une protection de 80% de la population contre l’hospitalisation. Je pense que les quelques pays européens qui ont décidé de ne pas utiliser le vaccin AstraZeneca pour les personnes de plus de 65 ans doivent revoir leur décision, car une étude écossaise a démontré que cette efficacité contre l’hospitalisation des formes graves est plus accentuée et marquée chez les sujets âgés que chez les personnes jeunes. Plus on est âgé et plus on est protégé contre les formes graves.

 

F.N.H. : Comment peut-on expliquer la prédominance du variant anglais? Les vaccins choisis par le Maroc sont-ils efficaces contre, justement, ces nouveaux variants ?

Dr T. H. : Pour les vaccins utilisés au Maroc, à savoir AstraZeneka et Sinopharm, une étude publiée récemment (3 semaines) a démontré que le vaccin chinois est efficace contre les trois variants (britannique, sudafricain et brésilien) et pas seulement sur le variant anglais que nous avons détecté chez nous. AstraZeneka est efficace contre le variant britannique et il serait peut-être moins efficace sur les autres variants, selon une étude effectuée en Afrique du Sud. Actuellement, l’Afrique du Sud est en train de vacciner 100.000 de ses citoyens avec AstraZeneka pour justement mesurer l’efficacité du vaccin en question sur le variant et voir s’il protège contre les formes graves.

Au Maroc, primo, les deux vaccins sont efficaces contre le variant britannique et, secundo, ils sont même efficaces pour les personnes âgées contrairement à la polémique plutôt politique que scientifique entre quelques pays européens pour des raisons de livraison et de favoritisme pour la GrandeBretagne. Les experts de l’OMS et l’Agence européenne des médicaments ont autorisé l’utilisation du vaccin chez tous les groupes d’âge, y compris les personnes âgées de plus de 65 ans. Ajoutez à cela la dernière publication de l’étude écossaise qui confirme l’efficacité du vaccin d’AstraZeneka chez les sujets âgés, et souligne que dès la première injection, ce vaccin permet une réduction de 80% des hospitalisations. Ces nouvelles données démontrent que le Maroc s’est basé sur la science et non pas sur une polémique scientifique.

 

L’immunité collective, selon le Dr Tayeb Hamdi
Pour atteindre une immunité collective, on a besoin d’un vaccin sûr et efficace. Ensuite, il faut tabler sur l’adhésion de la population. Au Maroc, nous avons une adhésion complète des citoyens. Quant à la campagne de vaccination, elle se déroule dans de bonnes conditions. Bien évidemment, si l’on reçoit les vaccins dans les délais, s’il n’y a pas d’apparition de souches plus graves, c’est-à-dire une souche qui remet tout en question, à savoir vaccin et immunité, à mon avis, en été, début juillet, on aura déjà terminé notre campagne de vaccination et on pourra parler d’immunité collective. Ceci dit, l’immunité collective, ce n’est pas un chiffre qu’on annonce (70 ou 75%). Dès qu’on atteint ce chiffre, il faut surveiller. En effet, on surveille si nous avons étouffé le virus jusqu’à ne plus voir de cas. Cela demandera des semaines, mais durant cette période, le pays pourra se libérer des mesures restrictives progressivement. En même temps, on va continuer à observer et à être prudent. Et si tout va bien, durant le mois de septembre, on pourra envisager de suspendre progressivement les mesures barrières jusqu’à la fin de l’année 2021. Bien évidemment, nous allons toujours garder un œil sur l’évolution de l’épidémie au Maroc et à l’étranger, puisque tant que le virus circule dans les pays du globe, nous ne serons pas à l’abri de mutations. Moralité : même si on est vacciné et donc protégé avec une immunité collective, le fait qu’il y ait une mutation grave, c’est-à-dire un variant ou une souche qui n’est plus sensible au vaccin utilisé, remettra tout en question et fera redémarrer la pandémie. Il faut donc rester vigilant, même avec l’immunité collective, jusqu’à l’extinction du virus dans toute la planète.

 

 

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