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Maroc – Algérie : L’intelligence militaire contre la force brute

Maroc – Algérie : L’intelligence militaire contre la force brute

Le budget de la défense algérienne pour 2026 sera, une nouvelle fois, près du double de celui du Maroc. Pourtant, derrière ces chiffres bruts se cachent deux stratégies militaires radicalement opposées. Là où Alger dépense beaucoup pour entretenir une puissance de masse, Rabat investit dans la modernisation qualitative, la souveraineté industrielle et le renseignement de haute technologie.

 

Par R. Mouhsine

Sur le papier, l’écart semble écrasant. Le projet de Loi de Finances 2026 de l’Algérie consacre 3.205 milliards de dinars (environ 22,1 milliards d’euros) à la Défense nationale, soit près du double du niveau marocain. Mais la comparaison brute prête à confusion : les deux pays ne comptabilisent pas leurs dépenses de la même manière.

Au Maroc, le budget effectif à décaisser (les crédits de paiement), c’est-à-dire les dépenses réelles prévues pour l’année 2026 s’élèvent à 55,3 milliards de dirhams, soit environ 5,1 milliards d’euros. En parallèle, le gouvernement a autorisé 157,1 milliards de dirhams (près de 14,7 milliards d’euros) en crédits d’engagement, un mécanisme qui permet de conclure des contrats pluriannuels de modernisation, d’infrastructures et d’achats stratégiques étalés sur plusieurs années.

Autrement dit, ces 157 milliards ne sont pas des dépenses immédiates, mais une capacité de financement planifiée : ils traduisent l’ampleur des programmes de modernisation futurs plutôt que le niveau de dépenses de 2026. Quand le Maroc planifie dans la durée, l’Algérie consomme immédiatement la quasi-totalité de ses crédits pour couvrir ses dépenses courantes et ses livraisons d’armement à court terme.

En proportion du PIB, le Maroc consacre environ 3,4% à sa défense, contre près de 9% pour l’Algérie. Cette dernière se place parmi les cinq pays au monde qui investissent le plus lourdement, proportionnellement à leur économie. Mais cette démesure budgétaire traduit davantage une dépendance aux hydrocarbures qu’une réelle puissance opérationnelle.

Une course à la masse contre une logique d’intelligence

«Le Maroc et l’Algérie sont deux pays, deux systèmes, deux doctrines», analyse le professeur Abderrahmane Mekkaoui, expert militaire. «Le Maroc a choisi la qualité et l’autonomie, l’Algérie reste prisonnière de la quantité et de la dépendance», explique-t-il.

L’armée algérienne conserve une structure classique, héritée de la doctrine soviétique : supériorité par le nombre, déploiement d’artillerie lourde et dépendance au fournisseur russe.

En 2026, Alger devrait réceptionner une trentaine de nouveaux avions de combat (Su-57, Su-35 et Su-34), renforçant une flotte déjà surdimensionnée. Mais cette course à l’accumulation s’accompagne d’une usure accélérée du matériel et de coûts de maintenance colossaux, dans un contexte désertique où les équipements se dégradent rapidement. «80% du territoire algérien est désertique.

La poussière, l’humidité et la chaleur extrême rendent le matériel rapidement obsolète. Et le pays manque d’infrastructures de maintenance», rappelle Mekkaoui. Le contraste est saisissant avec la stratégie marocaine. Depuis 1999, Rabat a réformé sa doctrine militaire pour l’adapter aux guerres modernes : mobilité, renseignement, précision et interopérabilité.

Modernisation qualitative de l’armée marocaine

Selon le média espagnol Defensa, le Maroc poursuit une modernisation qualitative, couplée à la construction d’une base industrielle souveraine. Cette orientation se traduit par des investissements continus dans le renseignement, la maintenance et la production locale.

«Depuis 2019, le Maroc fabrique ses propres munitions, armes légères et pièces d’artillerie. Il assure la maintenance de ses chars Abrams et produit désormais certaines pièces de rechange localement», détaille Mekkaoui.

Ce virage industriel vise à réduire la dépendance extérieure et à consolider une économie de défense nationale. Rabat coopère aujourd’hui avec l’Inde, la Turquie, le Brésil, Israël et les États-Unis, misant sur le transfert de technologie plutôt que sur l’achat massif d’équipements finis.

Dernier signal de cette ambition technologique : l’intérêt du Maroc pour le système américain HADES (High-Altitude Extended-Range Detection and Surveillance), une plateforme ultramoderne de renseignement aéroporté combinant capteurs radar, écoute électronique et imagerie optique.

Selon Aviation Week, Rabat figure parmi les rares pays partenaires de Washington à manifester un intérêt concret pour ce dispositif. «Le Maroc a investi dans les satellites, l’intelligence artificielle et la guerre électronique», poursuit Mekkaoui, notant qu’«il est désormais capable de développer des drones autonomes, maritimes et anti-sous-marins».

La force du facteur humain

Au-delà des équipements, le soldat marocain demeure un pilier central de la doctrine nationale. «Le soldat marocain est un soldat formé, discipliné, motivé et fier. Le Maroc investit dans son bien-être, sa formation et ses conditions de vie», souligne Mekkaoui.

Cette approche “humaine” n’est pas anecdotique : elle garantit la cohésion, la réactivité et la confiance dans la hiérarchie. Le Maroc mise sur la discrétion et la continuité. Ses forces, bien que moins visibles, sont désormais comparables à celles de pays européens moyens comme la Grèce ou le Portugal, selon Mekkaoui. À l’opposé, l’armée algérienne souffre de rigidités structurelles et d’une désorganisation chronique.

«Le commandement est éclaté entre régions, le renseignement militaire désarticulé, et le recrutement gangrené par le régionalisme», affirme Mekkaoui. Cette instabilité a un coût : une armée plus lourde à entretenir, moins agile, et surtout peu motivée.

«Une armée, disait Goebbels, c’est un commandement, un renseignement et un soldat. L’Algérie n’a plus ni l’un ni l’autre», précise notre interlocuteur. La dépendance presque exclusive aux hydrocarbures rend cette politique difficilement soutenable. Chaque baisse du baril fragilise mécaniquement la capacité de financement du ministère de la Défense.

Deux visions du développement national

L’opposition dépasse la sphère militaire. En Algérie, la Défense absorbe plus de 15% du budget général de l’État, soit davantage que les ministères de la Santé et de l’Education réunis.

Au Maroc, la proportion est inverse : la défense représente 7,6% du budget, contre plus de 20% pour l’éducation et la santé cumulées. Cette différence illustre deux visions de la sécurité nationale : une sécurité fondée sur la peur et la démonstration de force d’un côté; une sécurité intégrée, articulée autour du développement humain et de la stabilité interne de l’autre.

«Le Maroc a compris que la puissance durable est celle qui s’appuie sur la connaissance, la technologie et la cohésion sociale», conclut Mekkaoui. Le Maroc ne cherche pas à rivaliser par la taille, mais par l’efficacité, l’autonomie et la précision. Derrière les chiffres et les défilés, il y a deux visions du pouvoir. L’une croit encore qu’on mesure la force à la taille des colonnes de blindés. L’autre sait que la guerre se gagne désormais par les réseaux, les capteurs et les algorithmes. 

 

 

 

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