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Maroc - France : Le test migratoire

Maroc - France : Le test migratoire

Emmanuel Macron est attendu au Maroc fin octobre, signe d’un réchauffement diplomatique après des mois de tensions entre Rabat et Paris. Mais sous le vernis des retrouvailles, un sujet brûlant pourrait raviver les frictions : la politique migratoire française, de plus en plus restrictive.

 

Par D. William

La visite prochaine du président français Emmanuel Macron au Maroc, prévue pour fin octobre, est le symbole du vent chaud qui circule désormais entre Rabat et Paris, après une longue période de tensions diplomatiques.

Pourtant, une question épineuse pourrait sérieusement compromettre ce vent d’apaisement : la politique migratoire française, qui s’est considérablement endurcie sous l’impulsion du nouveau gouvernement. Une politique qui risque de faire grincer des dents dans les cercles diplomatiques marocains.

A écouter Michel Barnier, tout semble très simple : la France, confrontée à une immigration qu'elle ne parvient plus à contrôler, n’a d’autre choix que de serrer la vis.

«Nous devons regarder la question de l'immigration avec lucidité et l'affronter avec pragmatisme. L'an dernier, 2,5  millions de visas ont été accordés à des ressortissants étrangers. Chaque année, plus de 150.000  demandes d'asile sont enregistrées, dont les deux tiers en moyenne sont rejetés. Chaque année, plus de 100.000  obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont prononcées, mais des dizaines de milliers de migrants en situation irrégulière se maintiennent indûment sur notre territoire. Nous ne maîtrisons donc plus de manière satisfaisante notre politique migratoire», a-t-il déclaré récemment à l’Assemblée nationale.

Le Premier ministre ne mâche pas ses mots, tout en essayant d’apparaître pragmatique.

Son message? «Le  gouvernement  ne s'interdira pas de conditionner davantage l'octroi de visas à l'obtention de laissez-passer consulaires nécessaires aux reconduites à la frontière», dit-il, précisant que «nous poursuivrons les discussions déjà engagées avec les pays concernés par des accords bilatéraux conclus de longue date, parfois de très longue date, lorsqu'ils ne correspondent plus aux réalités d'aujourd'hui».

Bruno Retailleau, de son côté, a ajouté une couche supplémentaire de fermeté. Le ministre de l’Intérieur est clairement en faveur d’une approche musclée en matière de migration.

Dans une interview accordée au Figaro magazine, il a dressé le tableau d’une France trop généreuse dans l’octroi des visas, citant entre autres le cas du Maroc qui, selon lui, a obtenu plus de 238.750 visas en 2023, mais n’a délivré «que 725 laissez-passer»  consulaires en retour.

«Nous sommes trop généreux sans être payés en retour», a-t-il lancé, non sans faire savoir le retour des charters (vols groupés) et des pressions qui pourraient être exercées sur les pays peu enclins à délivrer des OQTF, via notamment l’aide au développement.

Vers de nouvelles tensions ?

La restriction de visas envisagée par les autorités françaises peut être appréhendée comme une solution qui paraît frappée au coin du bon sens, sauf lorsqu'on examine de plus près ce qu’elle signifie pour un pays comme le Maroc.

Rappelons-nous que cette affaire des visas avait déjà contribué à empoisonner les relations entre Rabat et Paris. En effet, le 28 septembre 2021, la France décidait de durcir les conditions d'obtention des visas à l'égard du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie.

Motif: ces pays «refusent» de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France. Médecins, opérateurs économiques, salariés, étudiants…, personne n’a été épargnée par ce que tout le monde qualifiait de chantage au visa.

Ce n’est qu’en décembre 2022 que cette crise, qui a pourri les relations bilatérales pendant plus d’un an, a pris fin, à l’occasion de la visite effectuée au Maroc par la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna.

S’achemine-t-on alors vers un nouveau bras de fer diplomatique  ?

Le durcissement de la politique migratoire française est loin d'être un sujet mineur. Ce pays doit composer avec des flux migratoires en constante augmentation, tout en respectant ses obligations internationales.

Mais si l’Hexagone compte sur la coopération des pays du Maghreb pour contrôler ces flux, il est essentiel que cette dernière ne soit pas perçue comme unilatérale ou dictée par un rapport de force déséquilibré, voire que cela s’apparente à un chantage déguisé.

Et ce d’autant qu’avec une approche coercitive, Paris risque de s’aliéner un partenaire clé en Méditerranée, le Maroc en l’occurrence, dont la coopération est essentielle pour endiguer les migrations clandestines.

Dans ce cadre, le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l'étranger, Nasser Bourita, a rappelé mardi à Rabat, lors d’un point de presse à l’issue de ses entretiens avec le président du gouvernement régional des Iles Canaries, Fernando Clavijo, que «la politique migratoire définie par Sa Majesté le Roi Mohammed VI est fondée sur la responsabilité partagée, le combat contre les stéréotypes et la mobilisation contre les réseaux de trafic d’êtres humains».

Selon lui, «le Royaume du Maroc n’a pas de leçons à recevoir et assume pleinement ses responsabilités en matière de lutte contre l’immigration clandestine», tout en précisant que cette problématique «est une responsabilité commune entre les pays d’origine, de passage et de destination».

En cela, ajoute-t-il, le Maroc est disposé à rapatrier tout migrant clandestin à condition qu'il soit marocain et qu’il ait pris son départ depuis le territoire marocain, tout en s’interrogeant si l’autre partie est disposée à faire de même.

Bref, c’est dire que dans l’ombre de la visite au Maroc d’Emmanuel Macron, qui vient saluer un allié historique, la question migratoire risque de planer sur les discussions.

Même s’il est vrai qu’entre Rabat et Paris, les relations dépassent largement le seul cadre migratoire : elles englobent des questions stratégiques majeures comme le Sahara marocain, des projets économiques d’envergure, la sécurité régionale (notamment la lutte contre le terrorisme)… qui, sans aucun doute, occuperont une place centrale dans les échanges.

En fin de compte, la question migratoire, aussi sensible soitelle, ne devrait pas être le seul prisme à travers lequel s’envisage la coopération bilatérale. Surtout quand on sait que, dans les faits, la nouvelle politique migratoire française semble plus soucieuse de répondre aux préoccupations internes, à savoir apaiser une partie de l'opinion publique, que d’apporter une solution durable aux défis migratoires.

 

Dérive raciste
Jadis perçue comme une question complexe et nuancée, la politique migratoire française semble se muer en un instrument de stigmatisation facile. La France s’enfonce de plus en plus dans une dérive populiste, écartant tout humanisme au profit d’un discours où la xénophobie n'est plus cachée mais assumée, voire encouragée. Entre propos anti-immigrés sur fond de «grand remplacement» et déclarations incendiaires de certains politiciens, l’Hexagone se dote peu à peu d’un arsenal verbal et politique qui flirte avec le nationalisme exacerbé. Le débat public est désormais imprégné de termes qui font écho aux discours des années noires de l’histoire européenne. Cette rhétorique ne se contente pas de diviser la population : elle insinue insidieusement que l'immigration est la source de tous les maux, du chômage à l'insécurité, en passant par l'identité nationale. D’ailleurs, le chef de la diplomatie marocaine ne s’y trompe pas lorsqu’il affirme que la question migratoire occupe une grande partie de l’agenda politique intérieur dans certains pays européens, et est même érigé «en fonds de commerce populiste» avec un discours alarmiste et suscitant la peur. En laissant croire à une population désabusée que les difficultés qu'elle rencontre sont imputables aux étrangers, on détourne le regard des vraies questions : une économie vacillante, des inégalités croissantes et une classe politique qui se crêpe les chignons, bien trop occupée à se chercher des boucs émissaires qu’à se remettre en question. Cette logique de victimisation de l’immigrant est d’autant plus pernicieuse qu’elle occulte les facteurs socioéconomiques profonds et bien réels qui affectent la société française. Laquelle s’enferme de plus en plus dans une vision étriquée et autoritaire, où l'altérité devient un fardeau. Avec ce glissement vers une intolérance normalisée et ce repli identitaire, en apparence politique, la France ouvre la voie à une fracture sociale qui ne cesse de s’élargir, alimentant frustrations et ressentiments. En pointant du doigt les migrants, le gouvernement prépare ainsi un terreau fertile où les idéologies nationalistes et les discours haineux prospèrent. Il valide et renforce les discours alarmistes et simplistes qui prônent l'exclusion au nom de la «préservation» de l'identité nationale. Ce qui offre une légitimité inattendue aux partis les plus radicaux, leur permettant de se poser en protecteurs de la «vraie France» face à un prétendu envahisseur. De fait, l'extrême droite trouve là un écho à ses propres thèses, amplifiant ainsi son influence et normalisant des positions autrefois marginales.

 

 

 

 

 

 

 

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