Nommé pour la seconde fois ambassadeur du Maroc auprès de l'Union européenne à Bruxelles, Ahmed Reda Chami revient dans une arène qu'il connaît bien, après avoir été à ce poste en 2016.
Cet ingénieur des arts et manufactures n’est pas un inconnu pour les décideurs européens.Bien au contraire, il a déjà marqué de son empreinte les relations entre le Royaume et l'UE.
Alors, qu’est-ce qui rend ce retour si important, à un moment si délicat pour les relations bilatérales ?
Pour comprendre la signification de cette nouvelle nomination, il est important de revenir sur le parcours de Chami.
Après ses études, ce diplômé des prestigieuses Ecole centrale de Paris et de l’Anderson Graduate School of Management de l'Université de Californie à Los Angeles – UCLA - s’est illustré dans le secteur privé, notamment chez Microsoft, où il a occupé des postes stratégiques en Afrique et en Asie.
Son expertise technologique n’est que l’un des nombreux atouts qu’il a cultivés au fil des ans.
Sa carrière prend une tournure décisive lorsqu'il devient ministre de l'Industrie, du Commerce et des Nouvelles technologies au sein du gouvernement Abbas El Fassi entre 2007 et 2011.
Durant cette période, il s’efforce de moderniser les secteurs stratégiques du Maroc, contribuant à ancrer davantage l’économie du Royaume dans la dynamique internationale.
Ces efforts ont fait de lui un visage familier, tant pour les entreprises que pour les chancelleries étrangères.
En 2016, lorsque Chami est nommé ambassadeur représentant permanent du Maroc auprès de l'UE, il plonge dans un nouvel univers : celui des négociations commerciales, des relations stratégiques, des dossiers environnementaux...
Un univers assez complexe aussi, où les enjeux politiques s’entremêlent avec les intérêts politiques, sur fond de lutte d’influence, de lobbies et parfois de fourberies.
Dès lors, la diplomatie n’était plus seulement une question de politique étrangère classique, mais elle embrassait aussi des dimensions économiques, sociales, culturelles…, des terrains où Chami a pu se performer.
Cependant, aujourd’hui, sa mission ne sera pas simple. Alors que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient d’annuler les accords de pêche et d’agriculture entre l’UE et le Maroc, les relations entre Rabat et Bruxelles se trouvent dans une phase critique.
Faut-il voir un lien entre sa nomination et la décision de la CJUE ? Peut-être bien. En tout cas, vu le timing, tout porte à le croire.
Un pont diplomatique entre Rabat et Bruxelles
L’annulation des accords commerciaux de pêche et agricole par la CJUE a de quoi surprendre. Cette décision repose sur une interprétation très stricte des principes juridiques, en particulier celui du «consentement».
Une interprétation qui fait grincer des dents à Rabat, qui précise n’avoir pas participé à cette procédure perçue comme une bataille juridique entre l’UE et le polisario, sous l'ombre bienveillante de l’Algérie.
Mais cette annulation devrait avoir des répercussions économiques pratiques sur la coopération Maroc-UE, tout en ouvrant un nouvel épisode d'incertitude juridique.
Le retour de Chami dans ce contexte particulier n’est pas dénué de sens. Du tout ! Sa maîtrise des dossiers commerciaux, son expérience des rouages européens et son réseau de contacts au sein de l’UE font de lui certainement le profil idéal pour mieux défendre les intérêts du Royaume.
De plus, dans l’arène de Bruxelles, Chami ne combattra pas seul. Il pourra compter sur les pays européens. Car l’UE, loin de vouloir rompre avec le Maroc, a multiplié les signes d’apaisement.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le Haut-représentant de l'UE, Josep Borrell, ont insisté sur l’importance stratégique du partenariat entre l’UE et le Maroc. Leur déclaration commune réaffirme la volonté de renforcer les liens dans tous les domaines et de trouver une issue favorable aux récents rebondissements juridiques.
Cela laisse entrevoir que le dossier des accords de pêche et d’agriculture n’est peut-être pas aussi fermé qu’il n’y paraît. Au contraire, la nomination de Chami pourrait être le signe que des négociations pourraient s’ouvrir pour rétablir un autre cadre de coopération solide.
Comme souvent dans les relations internationales, tout est question de dialogue et de compromis. Et Chami est bien placé pour naviguer dans ces eaux parfois troubles.
La mission de Chami n’est évidemment pas circonscrite uniquement autour des seuls accords de pêche et agricole.
Le Maroc et l’UE partagent une multitude d'intérêts, que ce soit dans les domaines de la transition énergétique, de la lutte contre le changement climatique ou encore de la gestion des migrations.
A un moment où le monde se dirige vers des crises multiples, son rôle sera de renforcer ces coopérations et de s’assurer que le Maroc reste un partenaire incontournable pour l’Europe.
Et si la tâche est lourde, il n’y a pas de doute que Chami saura relever le défi.
Sa carrière, jalonnée de réussites dans le privé comme dans le public, est la preuve qu’il sait comment faire bouger les lignes.
Que ce soit à la tête du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ou au sein du gouvernement marocain, Chami a démontré une vision et une capacité d’action qui seront précieuses dans les mois à venir.
Alors, que retenir de cette nomination ? Peut-être que dans un monde où la diplomatie est devenue un jeu d’équilibre entre des intérêts complexes et des enjeux juridiques parfois tortueux, Ahmed Reda Chami incarne la meilleure réponse du Maroc.
Son retour à Bruxelles, dans un moment charnière, est une preuve de la confiance que Sa Majesté le Roi Mohammed VI place en lui.
Et avec sa nouvelle casquette d’ambassadeur, Chami aura l’occasion de prouver, une fois de plus, qu’il sait construire des ponts, même là où certains voient des murs.
F. Ouriaghli