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Chronique. Le grand péril est de s’habituer à l’horreur

Chronique. Le grand péril est de s’habituer à l’horreur

Le grand danger pour le peuple palestinien, qui lutte depuis plus de 70 ans, contre le génocide perpétré par Israël, est que le spectacle de la mort et de la liquidation de tout un peuple devient un simple fait divers. La multiplication des morts, l’escalade des chiffres, la répétition déshumanisée des médias qui font le compte des cadavres finissent toujours par devenir la normalité.

Pourtant, tuer, massacrer, épurer toute une ethnie est tout sauf normal. C’est un crime à la face du monde. Un monde qui devient complice en acceptant l’horreur, en la rendant banale, une séquence passagère dans le flot des informations qui tournent en boucle. C’est exactement ce qui se passe avec l’invasion de Gaza par l’armée palestinienne, depuis le 7 octobre 2023. Avec les jours qui passent et les chiffres des victimes qui grossissent, le monde s’habitue, et finit par ne plus prêter attention à l’un des crimes contre l’humanité les plus sanglants et les plus brutaux depuis la deuxième guerre mondiale.

Déjà en 1941, George Orwell avait saisi toute la cruauté de celui qui opte pour la solution finale en exterminant, par tous les moyens, l’autre, désigné comme ennemi : «Le seul choix qui s’offre apparemment à nous, c’est de réduire en poussière les maisons, faire éclater les entrailles des hommes et déchiqueter des corps d’enfants avec des explosifs, ou bien de nous laisser réduire en esclavage par des gens à qui ce genre d’activité répugne moins qu’à nous. Jusqu’ici, personne n’a proposé de solution pratique pour échapper à ce dilemme». Car, il s’agit bel et bien d’un choix, étudié, assumé et appliqué avec rigueur par une armée surpuissante qui écrase tout sur son passage, qui affame des centaines de milliers d’êtres humains, coupés du monde, livrés en pâture à la barbarie humaine.

Il ne faut pas se leurrer, pour le régime israélien en place, en finir avec les Palestiniens jusqu’au dernier enfant vivant est un plan de guerre. C’est une stratégie militaire aussi simple qu'implacable. Et elle réduit à néant tout un peuple et un territoire devant une communauté internationale, qui s’elle n’est pas complice, comme c’est le cas des États-Unis d’Amérique et de l’Europe, qui fournissent argent et armes à Israël, sont des spectateurs démissionnaires qui, par leur inertie, par leur immobilité, par leur incapacité de faire contrepoids, cautionnent aussi ce crime contre l’humanité. Ce qui laisse les coudées franches à une armée israélienne qui exécute un programme, qui applique un plan infaillible : celui de tuer le plus grand nombre de Palestiniens, le plus vite possible.

Cette inclination déshumanisée au crime le plus abject fait partie de la constitution humaine. On pourrait croire qu’un peuple comme les Juifs qui ont fait les frais de la barbarie nazie aurait pu avoir une autre vision des rapports humains et être enclins à une certaine forme de justice humaine. Mais c’est faux. Pire, celui qui a payé un lourd tribut à la souffrance finit immanquablement par recycler, en pire, l’horreur qu’il a subie. Car, «L'homme est au fond une bête sauvage, une bête féroce. Nous ne le connaissons que dompté, apprivoisé en cet état qui s'appelle civilisation : aussi reculons d'effroi devant les explosions accidentelles de sa nature. Que les verrous et les chaînes de l'ordre légal tombent n'importe comment, que l'anarchie éclate, c'est alors qu'on voit ce qu'est l'homme», avait écrit un grand connaisseur des profondeurs humaines, Arthur Schopenhauer. Et là, face à cette boucherie qui se joue devant nos yeux en Palestine, tous les garde-fous ont cédé.

Plus aucune digue ne tient face au déferlement de la sauvagerie humaine. Tout est permis. On tue. On liquide. On annihile. Car, après tout, que peuvent les lois humaines face à ce qu’Israël est en train de faire ? Absolument rien. Les uns et les autres s’indignent, montrent leur colère, manifestent, crient, hurlent, intentent des procès devant des tribunaux, et le massacre continue, en toute impunité. Dans cette pléthore de la criminalité humaine, Aldous Huxley avait écrit dans Le meilleur des mondes, cette phrase si lancinante et si actuelle : «Quel sens ont la vérité ou la beauté quand les bombes à anthrax éclatent autour de vous ?».

C’est partant de cette réalité qui ne souffre aucune ombre que l’on peut affirmer, sans ambages, que le sort du peuple palestinien est plié. Ils tombent par dizaines, chaque jour. Ils meurent, femmes et enfants en premier. Leurs maisons sont écrasées par des chars. Les bombes pleuvent. Ils n’ont rien à boire ni à manger. Et aucun endroit où fuir. Ils ont juste la mort qui peut encore les accueillir. C’est cela la réalité de cette dite « civilisation » mondiale, qui a abouti à légitimer le crime et à le subventionner.

«Derrière tout cela, il y a une dure réalité que beaucoup de gens craignent de regarder en face, à savoir que le salut individuel n’est pas possible, que la plupart du temps l’être humain doit faire un choix, non pas entre le bien et le mal, mais entre deux maux. Vous pouvez laisser les nazis régenter le monde, c’est un mal. Vous pouvez aussi les en empêcher par la guerre, c’est un autre mal. Il ne vous est pas offert d’autre choix, et quel que soit celui que vous fassiez, vous ne garderez pas les mains propres. Il me semble que la parole adaptée à notre temps n’est pas “Malheur à celui par qui le mal arrive” mais plutôt celle qui a inspiré le titre de cet article : “Il n’est pas un homme juste, non, pas un”. Nous avons tous trempé nos mains dans la poix, nous périrons par l’épée. Nous n’avons même pas la possibilité, en un temps comme le nôtre, de dire : “Demain, nous pourrons tous nous montrer vertueux”. C’est de la poudre aux yeux.

La seule possibilité qui nous est offerte, c’est de choisir le moindre mal et de travailler à la construction d’une société où la rectitude morale sera à nouveau possible», prophétisait ce visionnaire qu’était George Orwell en pleine deuxième guerre mondiale. Et l’histoire se répète, avec un nouveau visage de l’horreur. Avec un nouveau chapitre de l’étendue de la folie des hommes.

 

Par Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste

 

 

 

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