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Une culture, une religion ou une nation ne peuvent survivre si elles se préoccupent d'exclure plutôt que de séduire…

Une culture, une religion ou une nation ne peuvent survivre si elles se préoccupent d'exclure plutôt que de séduire…

Croire qu’il suffit de naître au sein d’une culture, avec des assises historiques solides, pour faire de l’individu un acteur de cette même culture est un leurre qui peut s’avérer fatal pour cette culture elle-même qui n’arrive pas à intégrer dans son système de mutations et dans ses paradigmes d’évolution la participation de toute la société pour créer un socle culturel et civilisationnel pérenne. Participer à l’édification d’une culture qui peut prétendre s’inscrire dans le futur et marquer l’Histoire de l’humanité, c’est d’abord donner corps à un système de valeurs ancrées dans les racines de la communauté, dans ses différentes ramifications. 

«Une culture, une religion ou une nation ne peut survivre si elle se préoccupe d'exclure plutôt que de séduire, si sa légitimité se limite à revendiquer une place dans l'Histoire : elle doit revendiquer une place dans l'avenir», écrit Jacques Attali. Ce système est basé sur l’adhésion de toutes les franges de la société aux mêmes fondamentaux du groupe et sur leur apport constant à nourrir ce système, par la créativité, l’imagination, les découvertes, la pensée évolutive se remettant constamment en question, ne se reposant jamais sur ses acquis, par les sciences et leurs défis constants, par la mise en avant des individus comme porteurs d’idées et incarnant pour eux-mêmes leur propre idéal humain au cœur d’un peuple. 

«La culture, c'est avant tout une unité de style qui se manifeste dans toutes les activités d'une nation», écrivait, à juste titre, Frédéric Nietzsche dont toute la pensée regorge d’analyse au vitriol sur la faillite des cultures qui mettent de côté l’individu et pensent que le groupe est seul porteur d’un projet de société. Dans ce sens, «L'histoire humaine est par essence l'histoire des idées», apprend Herbert George Wells. Ce sont les hommes qui génèrent des idées capables de changer le monde, de le transfigurer, de lui donner de nouveaux élans, avec de nouvelles visions, de nouveaux défis de pensée. Ces défis s’appuient sur le passé commun pour rendre possible l’avenir. «Ce qui constitue une nation, ce n'est pas de parler la même langue, ou d'appartenir à un groupe ethnographique commun, c'est d'avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l'avenir», nous rappelle Ernest Renan. 

C’est cette projection dans le temps qui définit les peuples dans leur cheminement vers leur histoire. C’est ce qui fait la particularité des grandes cultures qui ont nourri l’humanité. C’est aussi ce qui différencie les sociétés les unes des autres face à leur capacité d’écrire l’Histoire et de les infléchir à leur désir de grandeur. «Si j'avais eu la conscience suffisamment claire et les mots suffisamment nuancés pour l'exprimer, j'aurais aimé te dire que nous sommes là pour explorer, découvrir et partager ce qu'il y a de meilleur en nous. Chacun possède un trésor. Sois conscient et généreux de ton trésor et, en même temps, reste ouvert, attentif à recevoir le trésor des autres, disposé à apprendre et à te remettre en question. Cherche la beauté, la vérité, l'excellence en accueillant aussi ta fragilité, ta vulnérabilité et ton ombre, de sorte d'être à même d'accueillir celles des autres. Occupe joyeusement ta place: il y a de la place pour chacun, sinon ni toi ni moi ne serions là. Pense que ta place que tu n'occupes pas pour ne pas déranger reste vide à jamais et réjouis-toi que chacun occupe pleinement la sienne autour de toi», affirme, avec sagesse, Rabindranàth Tagore. 

C’est là le secret du monde : chacun peut y incarner un idéal pour lui-même. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice. Et c’est de cette façon que se construisent les peuples et leurs différentes cultures, lesquelles, mises les unes à côté des autres, forment ce ramage civilisationnel qui converge vers un seul et unique horizon, celui de l’humanité qui grandit, qui avance dans le temps créant davantage de paliers à franchir. «Une nation pas plus qu'un individu ne peut se passer du regard des autres, de cette flamme fraternelle, de cet encouragement à vivre qui y étincelle quelquefois», disait Jean Guéhenno. Dans ce processus, il faut garder présent à l’esprit que le passage d’un cycle à l’autre sur cette longue route qu’est la civilisation, que rien ne peut freiner l’essor de cette marche que le rejet des autres, que la fermeture aux cultures des autres, que le refus de partager sa vision du monde avec tous les autres. Dans la longue histoire de l’humanité, c’est la prétention et l’erreur de croire que sa culture tout comme son peuple sont meilleurs que les autres qui mènent aux tragédies qui défigurent l’Histoire humaine. 

Le danger de penser d’être au-dessus des autres donne corps à des idéologies assassines. Les nationalismes sont là pour nous enseigner à quel point on détruit le socle de notre humanité en se croyant au-dessus des autres cultures. «Le nationalisme est la culture de l'inculte, la religion de l'esprit de clocher et un rideau de fumée derrière lequel nichent le préjugé, la violence et souvent le racisme», précise Mario Vargas Llosa. C’est pour cela qu’il faut se méfier de ceux qui prétendent avoir trouvé la vérité en divisant les humains en catégories et en strates. Seuls demeurent les grandes actions que l’on a consenti pour rendre cette humanité meilleure, plus grande, plus noble, plus réceptrice des différences qui sont autant d’alluvions nourrissant le cours sinueux de l’Histoire, avec ses cicatrices, ses accidents, ses drames et ses renaissances. 

Cette conviction est une grande forme de conscience humaine. Elle nous montre à quel point nous devons être alertes, vigilants et conscients de nos actes qui peuvent influer sur le cours du temps, avec des conséquences, oscillant entre le bon et le mauvais, entre le bien et le mal que l’on inflige au monde et que l’on s’inflige par conséquence. «Tout ce qui ne vient pas à la conscience... Ce qu'on ne veut pas savoir de soi-même... Ce que nous évitons de reconnaître en nous-mêmes, nous le rencontrons plus tard sous la forme du destin», souligne Carl Gustav Jung, lui, qui a réfléchi le monde, l’humanité et l’individu dans leurs moindres recoins allant à la source de nos parts d’ombre pour y trouver quelque lumière. En écho à ces paroles de Jung, on pense à cette affirmation d’Octavio Paz, qui nous dit ceci : «La conscience des mots amène à la conscience de soi : à se connaître, à se reconnaître». 

Cela passe par la raison, par la pensée rationnelle, par l’esprit qui refuse les limites de l’humain et surtout s’insurge contre les contingences de toute société qui se fourvoie. Car, il ne faut pas perdre de vue qu'on a toujours conscience avant, mais qu’on prend conscience toujours après. Dans ce processus, il y a une constante : Ceux qui croient sans raison ne peuvent pas être convaincus par la raison.

 

 

Abdelhak Najib 

Écrivain-journaliste

 

 

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