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T3awen M3ana

T3awen M3ana

Un coup de gueule d’inspiration estivale, en cette période particulière où nous avons tous été confrontés, à plusieurs moments, à des concitoyens ne portant pas de masque, à la dignité tendant vers zéro, faisant la manche.

 

Par Mohamed SAAD
Digital Evangelist, Positive Influencer

 

De tout âge et de tout genre, ils sont soi-disant «gardiens de voiture», mendiants, nettoyeurs de pare-brise, stoppeurs au feu rouge, ou carrément guetteurs scannant l’espace public en quête de «proies» au cœur tendre, à qui on va avancer la formule magique «T3awen M3ana». Ce qui veut tout simplement dire : mets la main à la poche et sors une pièce, ou un billet, en guise de «solidarité» ! Mais solidaire en quoi, et pourquoi ?

Un phénomène social qui s’est aggravé, et est même devenu normal ces derniers temps. L’enfant de dix ans au feu rouge qui t’aborde pour nettoyer le pare-brise de la voiture en échange de quelques pièces, trouve cela normal comme comportement se fondant parmi les actes quotidiens. C’est même devenu une source de revenus, un travail à plein temps, une compétition, voire un sport national.

Quand une génération laisse de côté les principes et les valeurs qui régissent la société, et quand la dignité n’a plus de place dans nos dictionnaires, et quand on n’en parle plus ! Et qui va en parler ? La famille ? L’école ? La société ? Personne ne s’en soucie; au contraire, certains l’encouragent, et en font une compétition entre enfants, c’est même considéré comme de la débrouillardise, de l’habileté ! Eh oui ! Voilà où nous en sommes ! Pathétique, énervant, rageant, quelle génération sommes-nous en train d’élever pour le Maroc de demain !? Il y aura une minorité élitiste qui fréquente les systèmes scolaires bénis, et une majorité de «T3awen M3ana» ! Une société à deux vitesses, où des ghettos sociaux, furtifs, s’installent d’une manière logique dans la société, sans qu’on ne s’y arrête.

On nous a inculqué il y a de cela quelques années, au collège, ce que l’on appelait l’éducation civique, qui servait de complément à l’éducation qu’on recevait à la maison. L’instituteur avait un vrai rôle d’éducateur, tout comme le personnel administratif du collège et du lycée; et quand on y ajoute la responsabilité de la famille, des voisins, en plus de l’autorité (l’M9addem, les forces auxiliaires…), le prisme de l’éducation se trouvait complété pour forger la personnalité du citoyen de demain. Je ne pense pas que le système actuel soit efficace, surtout pour la majorité dont on a parlé.

Dites-moi quelle éducation vous prônez, je vous dirai quel développement vous aurez ! Quelle nation vous construisez ! Quelle culture vous forgez !

Le sujet de l’éducation étant complexe et compliqué, il suffit de consulter le rapport de la Cour des comptes (https://www.courdescomptes.ma/publication/rapport-sur-l-evaluation-du-programme-durgence-du-ministere-de-l-education-nationale/) pour comprendre le défi et ses contraintes, mais cela n’est pas vraiment le but de cette tribune.

Le débat que je veux surtout lancer est : comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi a-t-on laissé faire ? Sommes-nous responsables ou coupables ? Y avait-il des garde-fous qui ont mal fonctionné ? Quel dérèglement social y a-t-il eu ? Pourquoi ? Jusqu’à quand !? Comment en sortir !?

Le débat est lancé !

Je donne modestement mon point de vue, et laisse le débat ouvert. Malheureusement, il y aura plus de questionnements et de pistes à explorer que de solutions, et cela dénote de la difficulté à laquelle nous allons faire face, car ce sont les sujets sociaux, dont les ramifications sont diverses et variées, qui posent les vrais problèmes insolubles.

J’ai choisi pour aborder la problématique, cinq axes à analyser parmi tant d’autres.

1. Crise de «Leaders»

Nous vivons de nos jours une vraie crise de leadership. Quels exemples donnons-nous à la génération montante en matière de leaders à qui on peut s’identifier, qu’on peut admirer, en espérant marcher sur leurs pas ? Au contraire, nous sommes assaillis, emportés par la culture des influenceurs des réseaux sociaux, qui se pavanent avec leurs symboles de richesse facile, du fait des centaines de milliers, voire des millions de followers qu’ils endoctrinent, et il suffit d’un bon ou d’un bad buzz pour que la machine à sous commence à débiter. Comparer ces influenceurs à des professeurs, chercheurs, médecins, ingénieurs, militaires sur le front… en termes d’impact, il n’y a pas photo ! Mais en termes de revenus, le gap est abyssal.

Nous avons troqué les métiers à fort impact contre le ridicule, le gain facile, le T3awen M3ana qui préfère la pièce de 5 DH tout de suite, en misant sur la compassion de l’autre mais surtout sur sa propre absence de dignité.

La société est responsable, nous sommes tous responsables dans ce déclin de leadership, de «positive influencers»; Socrate avait en son temps relevé ce fléau social, ce qui lui a valu une condamnation à mort, fondée sur les trois chefs d’accusation suivants :

1. Ne pas reconnaître les dieux que reconnaît la cité (être impie);

2. Introduire des divinités nouvelles (son daimôn);

3. Corrompre les jeunes gens.

Et c’est ce dernier chef d’inculpation qui est en lien avec notre sujet, car Socrate ne cessait de rappeler aux jeunes que la société doit être dirigée par des intellectuels, et donc des gens soucieux du bien-être de la communauté et, du temps de la Grèce antique, par les philosophes, des leaders capables de se poser les grandes questions qui relèvent de la gouvernance et de l’éthique.

Posons-nous la question : Quels sont les auteurs, intellectuels, chercheurs, philosophes et leaders marocains qui nous viennent à l’esprit de nos jours ? Pas grand monde ! Ce n’est pas parce qu’ils n’existent pas, mais c’est parce qu’ils sont éclipsés, voire écartés des débats de société, des discussions «vraies», «réelles», «justes», qui sont à même d’apporter des solutions et de guérir la société de ses maux : l’incivisme, l’insécurité, l’égoïsme, le choc générationnel, les orientations économiques, le réchauffement climatique, l’avidité, l’insouciance… Quelles tribunes donnons-nous à des sommités intellectuelles et/ou à des chercheurs comme Dr Hassan Aourid ? Tahar Ben Jelloun ? Najib Akesbi ? Moncef Slaoui ? Rachid Yazami… Et la liste est longue !

2. L’Académie (l’École) comme ascenseur social

Rappelons d’abord que l’Académie est l’école philosophique fondée à Athènes par Platon, vers 387

av. J.-C.

L'Académie tire son nom du domaine dans lequel elle est située, fait de jardins et de portiques et jouxtant le tombeau du héros Académos. Les leaders de ce projet étant Platon et Aristote, qui y ont enseigné.

Au-delà d’une simple école, l'Académie est d’abord un lieu qui se situe au nord-ouest d'Athènes en passant par la porte de Dipylon, le long d'une avenue comportant également des mausolées dédiés aux héros militaires défunts. ! D’où le lien avec le point précédent qui est d’inculquer aux apprenants les qualités du leadership, du charisme, de la posture et de l’engagement du leader; les héros militaires en sont des exemples.

La propriété de Platon est entourée d'une enceinte et comprend un grand jardin, un sanctuaire d'Athéna, plusieurs autels, un gymnase, des salles de cours ainsi que des habitations et une importante bibliothèque. Platon y a fait ériger une statue d'Apollon.

Voilà ce que doit être l’école, un lieu où l’on prodigue l’instruction, qui forge la personnalité, qui éduque l’esprit, qui façonne un citoyen responsable, engagé, utile pour la société, utile pour le monde !

Il va sans dire qu’intégrer ce lieu culte prédestine l’individu à endosser une fonction, voire une mission, dans la société.

L’homme est un animal politique, disait Aristote, et qui donc ne peut vivre qu’en société. D’autres chercheurs diront que le fait de vivre à Athènes, dans cette Grèce mythique, obligeait les habitants à participer à la vie en communauté et donc à participer à la vie politique, d’où la frustration de Socrate quand il a constaté que les gens déviaient de leur mission principale : Impacter positivement la vie sociale et se préoccuper de l’évolution de la cité.

3. La gratification instantanée

On remarque tous que l’un des maux de la société, en ce 21ème siècle, est la course vers la gratification instantanée. On veut tout, tout de suite, là, ici et maintenant !

Mais qu’est-ce qui nous prend ? Pourquoi n’avons-nous plus la patience de murir les idées ? Baisser la pression ? Penser à moyen/long terme ? … C’est ce qui nous arrive en général ! Et c’est cette course effrénée, inventée par la technologie, qui nous entraîne, en nous faisant adopter un style de vie où l’on confond vitesse et précipitation. Comme l’a expliqué Simon Sinek dans son «New York Times best-seller», «Leaders eat Last» : certaines hormones jouent un rôle très important dans notre comportement, notre humeur, notre concentration. L’une d’elles est la dopamine, l’hormone du plaisir immédiat, qui répond à une stimulation à un instant T.

Simon Sinek va même jusqu’à montrer que notre dépendance aux réseaux sociaux et autres applications mobiles (WhatsApp, etc.), au travers des «likes», «nombre de vues/commentaires», «beeps», «alertes» qu’on reçoit, libère de la dopamine, qui nous rend de plus en plus heureux, joyeux et euphoriques, ce qui accentue d’autant plus notre dépendance et a un impact indéniable sur notre «mood» voire sur notre santé en général.

On peut bien évidemment établir là une analogie avec le comportement de Monsieur/Madame T3awen M3ana, car il/elle est avide de gain instantané, plutôt que de chercher un métier stable, utile, responsable, qui pourrait lui procurer une certaine situation sociale. Après tout, cela rapporte parfois largement plus que le «Job» aux horaires serrés et au responsable qui contrôle la qualité du travail, et qui exige un certain engagement ! Hélas, c’est le monde à l’envers, car en l’absence d’une société qui contrôle et d’une autorité qui sévit, on préfère faire l’apologie du ridicule.

4. La crise du système de valeurs

Vous avez dit «valeurs» ? C’est quoi au juste ?

La question est légitime car, en l’absence de débats, d’échanges, d’éducation familiale, de codes de société, d’une religion «appliquée», comment voulez-vous que ce terme sonne dans nos oreilles ? Il est aphone, atone, n’a plus sa place dans la société.

Quand bien même certaines entreprises en parlent, invitent des consultants rémunérés rubis sur ongle, l’espace d’une journée, pour phosphorer et dénicher «les valeurs» qui cadrent avec la culture interne de l’entreprise, cela n’est nullement traduit plus tard par des actions qui sont à même de se forger dans le quotidien. C’est beau de les avoir sur des slides Powerpoint aux belles couleurs et aux jolies images shutterstock; c’est magique la Communication ! Mais, malheureusement, c’est cela qui est le plus important.

Parler de «dignité» à Monsieur/Madame T3awen M3ana et il vous sortira une pléthore d’arguments du pourquoi il fait cela; parfois on a l’impression de se trouver devant un rescapé d’un génocide !

Il est important de noter que dans notre culture arabo-musulmane, la dignité, la décence, l’honnêteté, la noblesse, la pudeur, revêtent une importance capitale et ont toujours été des valeurs de base qui forgent la personnalité de l’individu depuis le plus jeune âge.

La sagesse arabe nous a toujours rappelé que, quel que soit le niveau de besoin et de manque que l’on peut atteindre, on ne doit jamais tendre la main.

5. La religion : guide de citoyenneté

Quel enseignement tirons-nous de la religion ?

Est-ce que la religion est seulement un ensemble de préceptes à suivre sans en faire un mode de vie ? Sans l’appliquer au quotidien ? Dans la vie sociale ? Professionnelle ? … La religion n’a jamais été un ensemble de textes à apprendre par cœur sans en connaitre le sens, sans l’appliquer, sans la challenger, sans la traduire en des actes de tous les jours.

Il m’est arrivé d’assister à des querelles avec insultes, à la fin de la prière du vendredi ! Le jour de l’Aïd aussi, …

Un grand gap existe entre l’enseignement de l’utilité de la religion et son application.

Il est assez rare d’assister à des prêches du vendredi qui parlent de sujets sociaux et sociétaux, ayant vocation à apporter une valeur ajoutée dans l’éducation de l’individu. Nous aurions plus besoin de parler au citoyen lambda, à des gens qui comprennent, mais surtout à ceux qui ne disposent pas d’un bagage intellectuel. Je suis personnellement pour un prêche en «darija», «amazigh» … qui adresse la vie de tous les jours, qui démontre que la citoyenneté et le civisme sont la base de tout développement et de toute croissance et, de ce fait, qui soit en lien avec ce que dit le Coran et la Sunna.

Il est dans notre mission de chasser en meute ! De contrer les déviations qui créent des distorsions sociales, dont la conséquence est la création de ghettos dans la société. Certaines sociétés peinent à traiter des fléaux du type crise identitaire. Dieu Merci, on n’en est pas là, mais il est très important de nous poser aujourd’hui les questions qui sont à même de nous protéger, de concevoir le système adéquat pour l’éducation des générations à venir, et d’aspirer à converger vers une société Eudémonique, où le bonheur est la finalité.

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