Il est des matins où les symboles cessent d’être abstraits. Des matins où les frontières s’effacent, non pas sur les cartes, mais dans les consciences. En cette année 2025, à Paris, sous la verrière du Grand Palais, le Maroc s’est levé. Non pas figé ou folklorisé, mais vivant, pluriel, audacieux - un Maroc en acte.
Par Abdelkhalek Hassini
Enseignant-formateur en France, chroniqueur, conférencier, spécialiste en migration et développement et acteur associatif
Invité d’honneur du Festival du livre de Paris, le Royaume n’a pas seulement exposé ses lettres : il a révélé une âme. Une âme façonnée par mille récits, mille langues, mille visages. Elle se dit aussi bien en arabe qu’en amazighe, en français, en hébreu ou en espagnol, portée par ses enfants d’ici et d’ailleurs, qui, chacun à sa manière, prolonge ce Maroc grand, fidèle et lumineux.
Durant ces trois jours, un Grand Maroc s’est levé. Non comme un concept diplomatique, mais comme une présence sensible, dense, habitée. Dans les allées du Salon, les visiteurs écoutaient un peuple en archipel, dont chaque langue - arabe, amazighe, hassanya, français, espagnol, anglais, hébreu - était une respiration du monde. Cette pluralité linguistique, loin d’être un décor, était la matière vivante du Pavillon marocain.
Les écrivains marocains ne déclinaient pas une identité figée, mais en proposaient mille versions possibles. En partance mais jamais en exil, ils écrivaient l’intime, le politique, la mémoire, le silence. Ce Maroc-là n’est pas une nostalgie : c’est une flamme qui ne s’éteint jamais. Les voix venues des deux rives donnaient à lire un Maroc en dialogue avec lui-même et le monde.
Un Maroc de la transmission et de la réinvention, à l’image de sa diaspora littéraire - fidèle à ses racines et résolument tournée vers l’avenir.
Ils ne demandent pas la lumière, ils l’apportent. Ils ne clament pas leur amour du Maroc, ils le vivent, à travers leurs œuvres, leurs idées, leurs silences mêmes. Le Grand Maroc s’y révélait comme une œuvre collective, écrite à plusieurs mains, dans la marge autant que dans la lumière.
Mais il n’y eut pas que des grandes figures. Les enfants aussi avaient leur Royaume. Le Pavillon marocain leur tendait la main pour éveiller un regard, une sensibilité, une appartenance douce. Livres illustrés, contes réinventés, ateliers de zellige : autant de clés pour rêver leur pays autrement.
Ce petit carreau de céramique émaillé, assemblé avec patience et intuition, incarne l’art d’unir les différences. Il dit l’art de composer avec les formes et les couleurs. Comme la judéité, l’amazighité, l’arabité, il est un héritage transmis de génération en génération. Il incarne cette sagesse marocaine de l’assemblage, du détail qui fait lien, du geste millénaire qui devient promesse.
Ici, la transmission n’était pas une injonction, mais une invitation à la beauté. Chaque fragment culturel devenait un trait d’union entre passé et possible. Le Maroc, à travers ses enfants, ne perpétue pas seulement un héritage : il en réinvente les formes.
Le Maroc n’a jamais été un pays de monologue. Il est nuance, débat, conversation. Dans les scènes du Pavillon, des penseurs, écrivains, cinéastes, chercheurs et passeurs d’idées se sont relayés pour dire, interroger, transmettre.
André Azoulay, Simone Bitton, Mohamed Tozy, Asma Lamrabet, Ahmed Boukous, Driss Guerraoui, Driss El Yazami ont porté une pensée ouverte et critique, tournée vers le vivre-ensemble et les solidarités afro-atlantiques.
Les voix de Leïla Slimani, Fouad Laroui, Salim Jay, Myriam Jebbor, Mustapha Kebir- Ammi, Zineb Mekouar prolongeaient ce Maroc pluriel, entre mémoire et modernité. La pensée y circulait, s’affrontait parfois, mais dans le respect. Une polyphonie fidèle à cette intelligence marocaine d’ouverture et de profondeur.
Ce Maroc-là ne s’arrête pas à ses frontières. Il vit dans les traversées, les engagements, les fidélités tranquilles. Il relie Casablanca à Paris, Tanger à Montréal, Dakhla à Bruxelles. Le destin atlantique du Royaume, en dialogue avec l’Europe, l’Afrique et la Méditerranée, s’est affirmé comme horizon partagé.
La diaspora n’était pas en marge de ce récit. Elle en était le prolongement naturel. Par leurs œuvres et leur présence, les Marocains du monde élargissent les frontières symboliques du Royaume. Ils traduisent, interprètent, incarnent un pacte invisible : que l’identité est respiration, et non enfermement.
Ce moment n’était pas une simple célébration. C’était un manifeste. Une déclaration d’amour portée par la langue, la pensée, le souffle. Une promesse faite à toutes les filles et fils du Royaume – de l’intérieur comme de la diaspora : vous êtes, toutes et tous, des mots du même poème.
Au Grand Palais, le Maroc n’a pas seulement été entendu. Il a été ressenti. Non comme vitrine, mais comme une présence vivante, faite de complexité assumée, de diversité féconde, d’altérités en conversation. Il s’est dit avec douceur, avec ferveur, avec vérité. Il a tendu la main au monde sans abdiquer ce qu’il est.
Et dans le bruissement des langues, l’éclat des idées, la lumière des visages, ce Grand Maroc a pris corps. Un Maroc qui n’a plus à se prouver. Un Maroc qui écrit, qui pense, qui rêve - et surtout : qui relie.
Le Maroc a quitté le Grand Palais, mais une empreinte est restée. Celle d’un pays qui conjugue tradition et création, enracinement et ouverture. Ce souffle parisien doit maintenant inspirer des politiques concrètes, des traductions fidèles, des coopérations durables. Car ce Grand Maroc littéraire et humain est une clé d’avenir - et chaque mot posé au Grand Palais nous rappelle qu’il est déjà en marche.