A quelques jours de l’Aïd Al-Adha, les Marocains font face à une hausse brutale des prix de la viande ovine.
Une situation qui surprend par son ampleur, d’autant plus que le rituel du sacrifice a été officiellement suspendu cette année par décision royale.
Pourtant, dans les marchés comme chez les bouchers, la tension sur les prix reste forte, alimentée par une demande inattendue, une offre restreinte et un système de régulation défaillant.
La flambée actuelle des prix ne résulte pas seulement d’une pression conjoncturelle liée à l’Aïd, mais d’un enchaînement de crises structurelles. Depuis plusieurs années, les éleveurs marocains subissent une série de chocs : restrictions liées au Covid, fermetures des marchés hebdomadaires, puis vagues successives de sécheresse.
Ce cumul a précipité la sortie de nombreux petits éleveurs du circuit. «Le Maroc comptait 950.000 éleveurs. Aujourd’hui, une majorité a quitté la filière pour travailler en ville. On ne les a pas accompagnés, ni financièrement, ni structurellement», déplore Mohamed Dahbi, secrétaire général de l’Union générale des entreprises et professions (UGEP) relevant de l’ONAC.
De ce fait, le marché est devenu plus vulnérable à la spéculation. Certains intermédiaires ont massivement investi dans l’achat de bétail, espérant réaliser des marges importantes à l’approche de l’Aïd. Mais l’annulation du sacrifice a bousculé leurs plans, les forçant à écouler rapidement leurs stocks, parfois à perte.
Dans certaines zones, les prix ont brutalement chuté de 1.500 dirhams pour les moutons, tandis que la viande rouge a perdu jusqu’à 10 dirhams le kilo.
Mais dans d’autres villes, notamment Casablanca, les tarifs restent élevés en raison de limitations logistiques, comme la baisse de la capacité d’abattage dans les abattoirs municipaux.
Pour enrayer la spirale haussière à court terme, plusieurs acteurs appellent à des mesures de régulation ciblées : renforcement des contrôles sur le transport des animaux, encadrement des marchés et relance de la production locale via un appui direct aux véritables éleveurs.
Mohamed Dahbi va plus loin. «Il faut absolument auditer les 13 milliards de dirhams investis depuis 2010 dans la filière viande rouge. Ces fonds étaient censés moderniser le secteur, stabiliser les prix et renforcer la consommation nationale. Or, nous voyons l’inverse aujourd’hui», déclare-t-il.
La question du renouvellement du cheptel reste également au cœur des débats. Si le gouvernement a récemment annoncé des mesures pour soutenir l’élevage, beaucoup les jugent tardives ou mal ciblées.
L’an dernier déjà, les signaux d’alerte étaient nombreux, mais la fête avait été maintenue. Cette année, seule l’annulation officielle du sacrifice a permis d’amortir un choc plus violent encore. Reste à savoir si ces leçons seront, enfin, intégrées à une refonte plus durable du modèle agricole national.
A.N.