Depuis octobre 2023, l’armée israélienne pilonne Gaza avec régularité. Les chiffres sont effarants, mais ont malheureusement cessé d’indigner : plus de 56.000 Palestiniens tués selon les autorités sanitaires locales (chiffre jugé crédible par l’ONU), plus de 132.000 blessés, des infrastructures médicales laminées, une famine rampante et des centres de distribution d’aide cibles de l’armée israélienne.
Le 14 juin, une frappe israélienne a touché les abords d’un point de distribution alimentaire. Bilan : 20 morts. Le 27 juin, rebelote : 18 morts à Deir al-Balah, dont des policiers venus distribuer… de la farine. C’est cynique, mais les vivres attirent les bombes de Tsahal.
Aujourd’hui, c’est le système mis en place pour répondre à la crise humanitaire, et piloté notamment par la GHF (Fondation humanitaire de Gaza soutenue par Israël et les Etats-Unis), qui est pointé du doigt. La GHF distribue, sous escorte armée, des repas que les civils tentent d’atteindre au péril de leur vie. Résultat : des centaines de morts et des milliers de blessés dans les files d’attente. Pour Médecins sans frontières, il s’agit d’«un simulacre de distribution alimentaire qui produit des massacres à la chaîne».
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, habituellement mesuré, a fini par élever la voix. «Les gens sont tués simplement en essayant de nourrir leurs familles et eux-mêmes. Aller chercher de la nourriture ne doit jamais être une condamnation à mort», s’est-il indigné, soulignant que «toute opération qui canalise des civils désespérés dans des zones militarisées est intrinsèquement dangereuse. Ça tue des gens».
On ne saurait être plus clair.
Et pourtant, rien ne change. A Tel-Aviv, Benjamin Netanyahu tient le cap, plus déterminé que jamais. Les accusations ? Il les balaie d’un revers de manche. Comme celles du journal israélien Haaretz, qui a révélé que des soldats israéliens auraient reçu l’ordre de tirer sur des civils désarmés venus chercher de l’aide. Le Premier ministre réplique aussitôt, en tandem avec son ministre de la Défense, Israël Katz : «ce sont des mensonges malveillants conçus pour salir Tsahal, l’armée la plus morale au monde».
Les puissants… impuissants
Face à cette tragédie qui dure, la communauté internationale brille par sa constance : elle condamne, mais n'agit guère. Le 12 juin, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une énième résolution réclamant un cessez-le-feu immédiat et l’accès sans entrave à l’aide humanitaire. Le 26 juin, le Conseil européen a fait de même. Mais tout cela se limite à des déclarations de principe, loin de la réalité sur le terrain.
Le Qatar, qui joue une fois de plus les médiateurs, a parlé d’une «fenêtre d’opportunité» créée par la trêve conclue entre Israël et l’Iran, mardi 24 juin.
Donald Trump a lui aussi pris la parole le 27 juin. Avec son assurance et sa désinvolture habituelles, celui qui, trois jours plus tôt, avait réussi à faire cesser les hostilités entre Israël et l’Iran après seulement douze jours de guerre, a affirmé : «nous pensons que nous aurons un cessez-le-feu dès la semaine prochaine».
Mais ce fervent défenseur d’Israël, qui veut prendre le «contrôle» de la bande de Gaza pour en faire la «Riviera du Moyen-Orient», a-t-il vraiment la volonté de faire revenir la paix dans le territoire palestinien ? Il y a une seule évidence : ces civils palestiniens quotidiennement tués par Tsahal pèsent moins dans la balance que le spectre de Téhéran.
Dans ce contexte, on ne peut que saluer le courage de certains politiques qui osent ce que peu de dirigeants osent encore. Depuis Bruxelles, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a, en effet, dénoncé «une situation catastrophique de génocide à Gaza», plaidant pour un accès humanitaire sous contrôle onusien. «Ce dernier doit être piloté et coordonné par une autorité indépendante, en l’occurrence les Nations unies», a-t-il réclamé.
Il va même plus loin : «l’Europe doit suspendre son accord d’association avec Israël, et elle doit le faire immédiatement».
Sánchez, qui a reconnu officiellement l’Etat de Palestine en mai 2024, s’est ainsi hissé au rang des rares chefs d’Etat européens à tenir une ligne claire, sans ambigüité. Mais son audace diplomatique reste isolée. L’UE, comme souvent, se contente de «prendre note».
Antonio Guterres résume l'impasse à Gaza en une phrase : «le conflit entre Israël et l’Iran a dominé l’actualité, mais nous ne devons pas permettre que la souffrance des Palestiniens à Gaza soit reléguée dans l’ombre».
Justement, c’est bien ce qui se passe. Gaza est devenue une tragédie périphérique. Un conflit secondaire. Enfants, femmes et jeunes y meurent toujours, mais ça ne fait plus la Une. Les caméras sont ailleurs.
Et c’est cette indifférence qui entoure les massacres qui y sont perpétrés par l’armée israélienne et cette impression que la barbarie au quotidien s’inscrit dans la normalité, qui sont réellement dramatiques.
F. Ouriaghli