Ahmad al-Chareh a un problème. Un gros problème. Depuis son accession au pouvoir après la chute de Bachar al-Assad en décembre dernier, le président syrien par intérim tente de convaincre le monde qu’il est l’homme de la réconciliation.
Oubliées les années passées à la tête du groupe islamiste sunnite radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Oubliées aussi les alliances opportunistes avec d’autres factions aux pratiques peu recommandables. Désormais, il est le garant de «toutes les confessions», de «l’unité nationale» et même de la «paix civile». Sauf qu’entre les slogans et la réalité, il y a... un millier de cadavres.
En effet, ce qui s’est passé à Lattaquié et dans sa région ces derniers jours relève d’une brutalité qui rappelle les pires heures de la guerre civile syrienne. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), 973 civils, majoritairement issus de la minorité alaouite et chrétienne, ont été exécutés ou tués dans des représailles d’une violence inouïe. La communauté internationale a vivement réagi.
L’ONU condamne, Washington exhorte le régime à «poursuivre les auteurs des massacres» et l’Iran jure qu’il n’a rien à voir avec tout ça (alors qu’il a toujours eu quelque chose à voir avec tout ce qui se passe en Syrie). Mais c’est en France où le débat est le plus savoureux. La droite et l’extrême droite, qui hier encore défendaient le régime d’Assad au nom de la protection des chrétiens d’Orient, hurlent aujourd’hui contre «la barbarie islamiste» et accusent la France d’avoir trop vite tendu la main au nouveau pouvoir.
L’ancien Premier ministre François Fillon appelle à «agir sur le gouvernement syrien», le président du RN Jordan Bardella s’indigne que Paris ait couru à Damas après la chute d’Assad, tandis qu’Eric Ciotti, président de l’Union des droites pour la République (UDR), s’enflamme : «la France doit empêcher ces massacres et cesser toute naïveté avec ce régime islamiste de la pire espèce» !
Mais le nouveau régime en place semble avoir une autre lecture des événements. Il parle d’«exactions isolées» et de «réaction incontrôlée» de certains groupes, tout en annonçant, par la voix de Ahmad al-Chareh, la création d’une commission d’enquête «indépendante». Il promet de poursuivre les responsables de «l'effusion de sang de civils», tandis que son ministre des Affaires étrangères, Assaad Al-Chaibani, assure que «nous protégeons tout le monde de la même manière».
En réalité, al-Chareh sait que son pouvoir repose sur un équilibre précaire : d’un côté, les factions islamistes qui l’ont porté au sommet ne voient pas d’un bon œil ses efforts pour séduire l’Occident; de l’autre, il doit apparaître comme un dirigeant responsable aux yeux de la communauté internationale. Il doit donc polir son image sans fâcher ceux qui tiennent les kalachnikovs.
Difficile de jouer les modérés quand vos meilleurs soutiens ont passé des années à prêcher le jihad. Alors, il fait ce que font tous les dirigeants coincés : il temporise. Il promet des enquêtes, dénonce des «actes isolés» et jure que tout cela ne reflète pas la ligne officielle du gouvernement. Il ménage ainsi la chèvre et le chou, en espérant que le temps et la lassitude diplomatique feront le reste.
C’est sa seule manière d’assouvir son ambition : s’asseoir définitivement dans le fauteuil présidentiel, être reconnu sur la scène internationale et ne plus être vu comme un ancien chef jihadiste recyclé en homme d’Etat. Pour cela, il sait qu’il lui faudra continuer à promettre beaucoup, sans jamais trop en faire. Jouer l’apaisement, sans désavouer totalement ses compagnons d’armes. Bref, il lui faudra enfiler le costume du parfait funambule !
Par D. William