Il y a des rencontres diplomatiques qui entrent dans l’histoire, et puis il y a celles qui font date pour leur spectacle désolant. L’altercation hallucinante entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche, vendredi dernier, appartient sans conteste à la seconde catégorie.
On savait le président américain imprévisible, mais on ignorait qu’il transformerait une visite officielle en une sorte de télé-réalité politique, où l’humiliation remplace la diplomatie et l’arrogance tient lieu de stratégie.
Face à lui, un Zelensky stoïque, un brin amer, mais toujours debout. Entre les deux, un vice-président JD Vance, qui, tout à son zèle, s’est érigé en larbin d’un Trump à fond dans une séance d’intimidation.
Ainsi, ce qui aurait dû être un sommet déterminant pour l’avenir de l’Ukraine a tourné à la démonstration de force d’un Trump qui semble voir la politique internationale comme une partie de poker où il distribue les cartes et décide qui peut encore jouer. I
l l’a ainsi prouvé à son invité en lui assénant, face caméra : «Vous n'avez pas les cartes en main, là. (…) Mais soit vous concluez un accord, soit nous vous laissons tomber».
Et puis, il y a cette réprimande quasi paternelle adressée à Zelensky : «Vous devez être reconnaissant (…). Et ce que vous faites est très irrespectueux envers ce pays qui vous a soutenu bien plus que ce que beaucoup disent qu'il aurait dû (…). Le tout ponctué d’un Vance encore plus servile, qui insiste : «Avez-vous seulement dit merci ? (...) Dites quelques mots de remerciements aux Etats-Unis d'Amérique et au président qui essaie de sauver votre pays».
Voilà, c’est dit. L’Amérique de Trump n’a que faire des engagements passés, de l’histoire ou des principes. Elle veut un deal, vite et à tout prix.
Peu importe que l’Ukraine ait été envahie, que des milliers de civils aient péri et que l’Europe se retrouve fragilisée par cette attitude. Ce qui compte, c’est l’image d’un Trump «faiseur de paix», capable de conclure un accord, fût-il bâti sur l’abandon d’un allié.
Zelensky, seul contre tous ? Face à ce déferlement d’arrogance, Zelensky a choisi une posture rare en politique : la dignité. Pas d’excuses serviles.
Pas de soumission. Son visage fermé trahissait une exaspération certaine, mais il a tenu bon. Le seul moment où il a laissé échapper une pointe d’agacement, c’est lorsqu’il a lâché, en réponse à Trump qui affirmait que sans les équipements américains «cette guerre aurait été terminée en deux semaines» : «En trois jours. C'est ce que j'ai entendu de Poutine».
Un tacle subtil, mais assassin. Ce clash a déclenché une onde de choc en Europe où on espérait tout de même de Trump un minimum de décence.
En réponse, les alliés européens se sont précipités pour afficher leur soutien à Kiev. A Londres, une quinzaine de dirigeants européens ont promis de «renforcer la défense de l’Europe» et de s’unir derrière l’Ukraine.
Emmanuel Macron, toujours à l’aise dans le rôle du chef d’orchestre européen, a insisté sur la nécessité d’une réponse collective face à Moscou. Même Olaf Scholz, d’habitude plus mesuré, a martelé que «l'Ukraine peut compter sur l'Allemagne et sur l'Europe».
Mais si Trump a eu le mérite de mettre en lumière les failles de l’alliance occidentale, cela suffira-til à réveiller l’Europe ? Car derrière les grandes déclarations, les fissures sont bien là.
L’Italie de Meloni joue la carte de la conciliation avec Washington; la Hongrie d’Orbán frôle l’alignement sur Moscou; et l’Allemagne est toujours frileuse sur le plan militaire. C’est dire que l’Europe est encore loin d’une riposte crédible face au revirement américain.
De son côté, Zelensky joue les équilibristes. Il sait que l’avenir de son pays dépend d’un soutien international solide et que, malgré l’humiliation subie, il ne peut se permettre de claquer la porte au nez de Washington.
Mais jusqu’à quand pourra-t-il composer avec un Trump qui semble prêt à tout brader au nom d’un deal ? En tout cas, ce clash entre Trump et Zelensky marque sans doute un tournant.
Il acte la fin d’une époque où l’Ukraine pouvait compter les yeux fermés sur les Etats-Unis. Et, surtout, met à nu la brutalité du pouvoir trumpien, où la reconnaissance est une dette et la soumission un prérequis. Mais il révèle aussi autre chose : face aux coups de boutoir américains, l’Europe n’aura bientôt plus d’autre choix que de s’assumer en tant que puissance.
Quant à Trump, il pourra toujours savourer son coup d’éclat en se félicitant d’avoir «recadré» un allié récalcitrant.
Mais entre la dignité d’un président en guerre et l’arrogance d’un showman et de son valet, l’histoire va juger autrement et semble avoir déjà choisi son camp.
Par D. William