L’amélioration de la situation épidémiologique n’exonère pas de redoubler de vigilance.
La présence du variant anglais sur le territoire national constitue, pour les professionnels, une sérieuse source d'inquiétude pour le système de santé.
Par D. William
La présence du variant anglais se multiplie sur le territoire national. Au 20 février, 21 nouveaux cas de ce variant ont été détectés, portant le nombre total des contaminés à cette souche à 24. L’identification des porteurs de cette forme mutante du coronavirus s’est faite quelques jours après l’annonce (16 février) de la mise en place d’un consortium de laboratoires en charge de la veille génomique et du suivi des souches circulantes au niveau national.
Sa principale mission : identifier les variants de SARSCoV2 circulant au Maroc et les caractériser par séquençage génomique. Il a ainsi fallu à peine 4 jours au consortium pour livrer ses premiers résultats. Le taux de circulation du variant anglais au Maroc n’est-il pas néanmoins beaucoup plus important, d’autant qu’il est réputé plus contagieux ?
Difficile de le dire pour l’instant, surtout, qu’en parallèle, le nombre de tests effectués dans le Royaume a drastiquement baissé. Le 8 février courant, dans une circulaire adressée aux directeurs régionaux de la Santé, la tutelle s’était d’ailleurs inquiétée de cette chute du nombre de tests qui «rend difficile l’interprétation des données de surveillance au niveau de certaines régions», et ce «malgré la dotation des régions en quantité suffisante de tests antigéniques rapides».
Dans la foulée, elle a préconisé l’utilisation des tests antigéniques dans le dépistage des contacts, la «réalisation systématique d’un prélèvement pour RT-PCR en cas de TAR négatif chez un cas suspect avec un facteur de risque ou une forte suspicion clinique», outre «la prolongation de la durée de l’isolement des contacts de 7 à 10 jours». Ce renforcement du dispositif de veille et de riposte anticovid-19 est justement à lier à la présence du variant britannique, «caractérisé par une transmission plus élevée».
Faut-il s’inquiéter ?
La baisse des tests pose évidemment des questions sur la lisibilité des données fournies par le ministère de la Santé. Lequel assure cependant que «l’évolution actuelle de l’épidémie causée par le SARS-CoV-2 est caractérisée par une amélioration au niveau national». En effet, selon le bilan bimensuel relatif à la situation épidémiologique présenté par Abdelkrim Meziane Belfkih, chef de la division des maladies transmissibles à la Direction de l'épidémiologie et de lutte contre les maladies, le taux de contamination hebdomadaire pour 100.000 habitants s’est établi à 8,6% la semaine qui a précédé le 16 février contre 13,3% à fin janvier dernier.
Par ailleurs, le nombre de cas actifs est passé de 13.722 le 31 janvier à 6.721 le 24 février. Autre indicateur révélateur: la diminution du nombre de décès ces deux derniers mois. Entre le 20 décembre et le 20 janvier, le coronavirus a fait 1.086 victimes contre 478 entre le 21 janvier et le 21 février, soit à peu près une moyenne qui passe de 34 à 15 décès quotidiens sur la période. Pour autant, avec au total 482.128 cas de contamination et 8.592 décès enregistrés dans le Royaume au 24 février, le taux de létalité reste stable à 1,8%.
Parallèlement, si le taux de reproduction du virus évolue toujours en dessous de 1, il s’est néanmoins légèrement détérioré : le R0 est ainsi passé de 0,85 à 0,91 entre le 14 février et le 21 février. Si à ce jour aucun variant sudafricain ni brésilien n’a été identifié sur le territoire national, la présence du variant anglais pourrait cependant sensiblement bouleverser ces indicateurs sanitaires et inquiète les professionnels du secteur. Le professeur Said Moutawakkil, anesthésiste-réanimateur, docteur en biologie et membre du Comité scientifique et technique national, ne dit pas autre chose.
Selon lui, «l'existence de 24 souches du variant anglais au Maroc constitue une source d'inquiétude pour le système de santé, dans la mesure où ce variant est caractérisé par une forte contagiosité qui peut sursaturer ce système, avec son corollaire qu’est l’augmentation de la mortalité». «La menace d'une vague liée à ce variant reste réelle et incite à une grande prudence, compte tenu du fait que la campagne de vaccination dans notre pays est à son début et que nous sommes loin de l'immunité collective, mais aussi au regard du retard de livraison des doses commandées des vaccins», ajoute-t-il.
Néanmoins, tempère-t-il, «on remarque aussi que même dans les pays où ce variant est prédominant, il existe une tendance baissière des cas de contamination». L’inquiétude du Pr. Moutawakkil est partagée par le Dr Mounir Filali, biologiste, qui juge «la situation plutôt préoccupante non pas tant par les chiffres annoncés, mais plutôt par la situation qui prédomine de l’autre côté de la Méditerranée». Car, de son avis, «il n’y a aucune raison de croire que nous serons épargnés. Nous sommes probablement à l’aube d’une nouvelle vague ou, plutôt, épidémie, si l’on considère que chaque nouvelle souche se comporte comme un nouveau virus. Il faut juste espérer que cette nouvelle vague soit la plus douce possible».
Vers un allègement des restrictions ?
Si une lecture linéaire des chiffres tend à montrer que la situation épidémiologique s’est améliorée, faudrait-il alors espérer un allègement des mesures restrictives? A l’évidence non. Pas pour l’instant en tout cas, à en croire le Pr. Moutawakkil. «Même devant cette tendance baissière, nous devons garder à l'esprit que le virus est toujours parmi nous et que nous n'avons pas encore atteint l'immunité collective. L’autre raison est aussi liée à la circulation et la large diffusion des variants dans le monde, qui constituent une sérieuse menace. Nous devons encore supporter ces mesures restrictives un certain temps et nous mobiliser pour réussir la campagne de vaccination, en espérant atteindre l'immunité collective dans des délais raisonnables», explique-t-il.
Les messages diffusés régulièrement par la tutelle s’inscrivent d’ailleurs dans cette veine. Dans l’une de ses dernières communications, le ministère de la Santé appelle ainsi les citoyens à «redoubler de vigilance» et à «se conformer strictement aux mesures préventives», notamment la distanciation physique de plus d’un mètre, le lavage régulier des mains et, surtout, le port, «de façon correcte», du masque de protection. Un masque que l’on voit de plus en plus en pendouiller ou servir vulgairement de collier ras-du-cou.