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Droits de douane américains : Un coup de canif dans l’ALE Maroc-USA

Droits de douane américains : Un coup de canif dans l’ALE Maroc-USA

Le Maroc, pourtant lié aux Etats-Unis par un accord de libre-échange depuis 2006, hérite d’une taxe douanière de 10% sur ses exportations. 

Comme d’autres pays, le Royaume est pris au piège d’un virage protectionniste tous azimuts.

 

Par D. William

Dix pour cent. C’est le chiffre fétiche que l’administration Trump a décidé d’imposer, depuis le 5 avril 2025, à toutes les exportations vers les Etats-Unis. Même le Maroc, pourtant bon élève, s’est fait taxer sans avertissement. Alors, certes, dans ce grand délire protectionniste du président américain, le Royaume semble s’en sortir plutôt bien : 10%, c’est moins que les 125% infligés à la Chine. Mais il y a quand même 10%, alors que le Maroc et les USA sont liés par un accord de libre-échange.

Et c’est bien là le hic : en 2006, Rabat et Washington se sont juré, accord signé à l’appui, de ne pas s’imposer mutuellement de barrières douanières. L’article 2.3 de l’accord de libre-échange est formel : «sauf disposition contraire dans le présent accord, aucune des deux parties ne pourra augmenter un droit de douane existant, ni instituer un droit de douane sur un produit originaire». 

Me Julien Nouchi, avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit des affaires et fiscalité, précise que «toutefois, le traité autorise le Maroc à répliquer, sous certaines conditions par exemple, pour "maintenir ou augmenter un droit de douane, ainsi que l'autorise l'Organe de règlement des différends de l'OMC". Le traité se place donc dans le cadre strict des règles prévues par l’OMC, ce dont les Etats-Unis semblent désormais s’affranchir». Autrement dit, Trump vient de faire sauter un verrou juridique d’un revers de la main. Pour justifier cette entorse à l'accord, les équipes de l’USTR (lBureau du représentant américain au commerce) ont brandi un argumentaire très créatif : des normes antipollution trop strictes, des exigences sanitaires pointilleuses ou encore des règles administratives trop complexes au goût de l’oncle Sam… Bref, des barrières non tarifaires, arguties tout trouvées pour imposer une pénalité économique, en contradiction flagrante avec l’esprit de l’ALE.

Me Nouchi ne dit d’ailleurs pas autre chose. Selon lui, «invoquer ces "barrières non tarifaires" a tout l’air d’un prétexte sans fondement légal, puisqu’il n’y a pas de prohibition générale d’importation au Maroc de produits venant des Etats-Unis, bien au contraire». Et d’ajouter que «le traité comprend tout un chapitre (n°20) concernant le règlement des différends et prévoit que cette procédure s’applique notamment lorsqu’une mesure prise par une des parties est incompatibles avec ses obligations en vertu du traité». Mais lorsque Trump décide de tordre le bras aux règles commerciales internationales, l’Organisation mondiale du commerce elle-même se gratte la tête, embêtée. Le Maroc, qui croyait ainsi avoir verrouillé son accès au marché américain, découvre donc que les accords de libre-échange ne sont peut-être pas si… libres que ça.

Ce coup de canif unilatéral dans un accord bilatéral soulève une question autrement plus importante : cette taxe «ad valorem» décidée unilatéralement et appliquée à un partenaire bénéficiant d’un accord de libre-échange pourrait-elle être interprétée comme une dénonciation tacite ou déguisée du traité ? A cette interrogation, Me Nouchi apporte un éclairage important. «La dénonciation est l’acte par lequel un Etat partie à un traité international décide d’y mettre fin unilatéralement. Le traité signé entre le Maroc et les USA prévoit à l’article 22.6 la possibilité pour chacune des parties de le dénoncer, sous réserve de notifier l’autre partie au moins 180 jours à l’avance. L’instauration d’une telle taxe ne constitue donc pas en tant que telle une dénonciation du traité (les USA n’ont pas expressément formulé ce souhait), mais une violation claire de ses termes, le rendant en grande partie inopérant», explique-t-il.


Quelle réponse du Maroc ?

On ne sait pas encore si Rabat entamera une riposte diplomatique ou juridique. Officiellement, rien ne semble bouger pour l’instant. Alors, le Maroc doit-il attendre que la tempête trumpienne passe, en espérant que le prochain locataire de la Maison Blanche ait une vision un peu plus coopérative des relations internationales ? Doit-il dénoncer l’ALE avec les Etats-Unis ? Le renégocier ? De quels recours dispose-t-il ?  

«Le Maroc peut décider soit d’initier la procédure de règlement des différends prévue par le traité, soit de le dénoncer afin de ne plus être tenu par les obligations qui lui incombent; mais il n’est pas certain que cette voie soit suivie, étant donné les relations entre les deux pays. L’opportunité de recourir à ces deux options dépend donc de considérations géopolitiques et non juridiques», relève Me Nouchi, précisant toutefois que «peu importe l’option retenue, dès lors que tous les pays sont touchés par l’augmentation des droits de douane, y compris ceux ayant conclu un traité de libre-échange, il est peu probable qu’une telle procédure soit de nature à faire reculer l’administration Trump, qui ne semble comprendre que le rapport de force».

A l’évidence, il faut peut-être voir dans cette taxe une invitation à viser d’autres marchés (Afrique, Europe, Amérique latine, Asie…) où les humeurs protectionnistes ne dictent pas encore toute la diplomatie commerciale. Reste qu’il est cocasse de voir un accord de libre-échange si solennellement signé être chahuté par un simple décret présidentiel.

 

 

 

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