Entretien avec Mustapha Sehimi, professeur de droit et politologue.
Par la rédaction.
La Quotidienne : Un premier commentaire sur la nomination de Aziz Akhannouch en tant que chef gouvernement ?
Mustapha Sehimi : Deux jours après les scrutins du 8 septembre, SM le Roi a reçu le président du RNI, Aziz Akhannouch, au palais royal de Fès, pour le nommer chef du gouvernement. Il est désormais «désigné», à charge pour lui de former un cabinet sur la base d’une nouvelle majorité. Au plan institutionnel, c’est une situation particulière et ce, pour plusieurs raisons. La première, c’est que l’on a aujourd’hui – et pour quelques semaines encore – deux chefs de l’exécutif, l’un encore en responsabilité et l’autre seulement «désigné». Saâd Eddine El Otmani est sortant, et à ce titre, il ne peut, suivant la formule consacrée, qu’expédier les affaires courantes. Aziz Akannouch, lui, n’interfère pas dans cette gestion, il a pour mission de mettre sur pied une nouvelle majorité.
Sur la procédure de sa désignation, le Roi s’est conformé aux dispositions de la Constitution de 2011. En son article 47, elle stipule que le Souverain prend pratiquement acte des résultats des élections des membres de la Chambre des représentants et sur cette base-là, «nomme le Chef du gouvernement au sein du parti arrivé en tête…». Formellement, le Roi n’est pas tenu de nommer le premier responsable de ce parti. Il a la possibilité de nommer une autre personnalité de cette même formation. En résumé, il y a là un «mix» de compétence liée, assumée par le Roi, en même temps qu’une compétence discrétionnaire puisqu’il peut nommer soit le dirigeant du parti, soit un autre chef du gouvernement mais dans cette même formation. «Que le président du RNI ait été désigné est un acte qui était attendu. S’il en avait été autrement, cela n’aurait pas manqué de signification non pas quant à la légitimité des résultats de son parti mais peut-être quant à sa capacité à diriger un nouveau cabinet…».
La Quotidienne : Quel peut être la configuration de la nouvelle majorité ?
M.S : Il y a une première contrainte : former une majorité comprenant au moins 198 membres de la Chambre des représentants, soit plus de la moitié de la composition de cette institution. L’on parle alors d’une majorité absolue.
Le RNI totalise 102 sièges. Quel sera le format de la nouvelle majorité ? Il paraît pratiquement acquis que deux partis seront des alliés, en l’occurrence le parti de l’Istiqlal avec 81 sièges et l’USFP avec 34 autres. Ce qui ferait au total trois composantes et une majorité de 217 sièges, soit une vingtaine au-dessus de la majorité absolue. Arithmétiquement, cela tient la route, pourrait – on dire, mais en termes politiques qu’en est-il ? Il n’est pas exclu que l’on pourrait lui adjoindre un autre allié, le MP de Mhand Laenser ? Pourquoi cette formation et pas l’UC de Mohamed Sajid, un parti de la majorité sortante comme le mouvement haraki ? Pour des considérations d’équilibre territorial et culturel…
La Quotidienne : Et pourquoi pas le PAM ?
S.M : Ce parti n’est pas dans le même cas de figure. Il est dans l’opposition depuis la précédente législature (2011-2016). Il a opéré, avec son nouveau secrétaire général, Abdellatif Ouahbi, un rapprochement accentué avec le PJD. Si bien qu’il paraît difficile de l’inclure dans la nouvelle majorité. De plus, il a des relations difficiles avec le RNI de Aziz Akhannouch ainsi qu’avec l’USFP. Arithmétiquement encore une fois , la nouvelle majorité autour du RNI avec le PI et l’USFP n’a pas besoin du soutien des 87 députés de cette formation. Politiquement, le format de la majorité serait différent avec quatre partis (RNI, PI, USFP, PAM), sans parler d’une adjonction éventuelle du MP, ce qui ferait cinq composantes. Et puis, ceci : quelle est l’offre programmatique du PAM ? En quoi apporte- t-elle une valeur ajoutée ou une identité particulière ?
La Quotidienne : A quand ce nouveau gouvernement ? Quel est le calendrier ?
M.S : L’agenda constitutionnel est très contraignant. Il y a l’ouverture officielle de la première session d’automne de la nouvelle législature le 8 octobre prochain. Elle est assurée par le Roi, conformément à des dispositions constitutionnelles. D’ici là, soit dans quatre semaines, voici les étapes :
· les consultations avec les partis qui devaient être dans la majorité, ce qui peut prendre une ou deux semaines. Il faudra en même temps arriver à un accord sur les points suivants : le format du cabinet, la représentation des partis alliés au RNI ainsi que les secteurs qui leur seront confiés. C’est là un processus laborieux.
·Un accord sur le programme gouvernemental même si Aziz Achannouch entend avoir pour référentiel les propositions de son parti lors de la campagne électorale.
· Enfin, la présentation de ce programme devant le Parlement et un vote d’investiture par la Chambre des représentants. Il est possible que la présentation de ce programme devant le Parlement puisse se faire après le 8 octobre – date d’ouverture officielle de la session et de la nouvelle législature – parce que la délibération prendra du temps dans les deux Chambres.
L’ordre du jour des prochaines semaines, c’est aussi la préparation et la finalisation du projet de Loi des Finances pour 2022. Il y a bien un avant-projet mais il doit être revu et corrigé en fonction des priorités que se fixera le nouveau cabinet. Aux termes de la loi organique des finances, ce projet doit être déposé au Parlement au plus tard le 20 octobre. Cela donne la mesure des contraintes pesant sur le nouveau cabinet.
Il y a aussi d’autres contraintes comme l’accord MED Gaz arrivant à échéance le 30 octobre relatif au pipeline gazier entre l’Algérie et l’Espagne ou encore la décision attendue de la Cour européenne de justice sur l’accord de pêche Maroc / UE….
Dès les premières semaines, le nouveau gouvernement aura à faire montre de sa maitrise des dossiers, de son volontarisme et de sa capacité à emprunter les voies d’une nouvelle traduction des politiques publiques.