Professeur en sciences politiques à la Faculté de droit Rabat-Agdal et spécialiste de la vie politique américaine, El Abdi Abdelilah nous apporte son éclairage concernant la reconnaissance historique de la marocanité du Sahara par Donald Trump. Dans cet entretien, il répond sans langue de bois aux questions de La Quotidienne.
-La Quotidienne : Que représente pour le Maroc la déclaration de Trump du 10 décembre ?
- Pr El Abdi Abdelilah : Les États-Unis reconnaissent pour la première fois de leur histoire la pleine souveraineté du Royaume sur l’ensemble de la région du Sahara marocain. La promulgation d’un décret présidentiel, à effet immédiat, comporte une force juridique et politique indéniable.
En plus de cela, Donald Trump a décidé d’ouvrir un consulat à Dakhla, à vocation essentiellement économique, ce qui va permettre de booster l’économie de notre pays à travers les échanges commerciaux.
Cette décision est historique et très importante. Elle consolide les relations bilatérales entre les deux nations. C’est aussi le fruit du travail de la diplomatie du Royaume auprès des Etats-Unis pour défendre la légitimité du Sahara marocain.
Il ne faut pas oublier les liens historiques qui lient les deux pays. Cette diplomatie a été tracée par Feu le Roi Hassan II, et le Souverain Mohammed VI l’a poursuivie avec un dynamisme et une vivacité sans failles.
-LQ : Peut-on considérer que cette déclaration est un échange de bons procédés vu que le Maroc et Israël vont reprendre des contacts officiels ?
- E.A : Cette reconnaissance du président américain est loin d’être un «troc» ou un échange. Donald Trump avait souligné que le Royaume du Maroc a été le premier pays à avoir reconnu les Etats-Unis d’Amérique en 1777. Il convenait donc de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Ce n’est pas du donnant-donnant, mais bel et bien une reconnaissance légitime et effective. Il convient aussi de dire que cette décision de Tump n’est pas un «troc» par rapport à la cause palestinienne.
Sa Majesté le Roi a toujours affirmé que la position marocaine est claire par rapport à cette cause : celle qui consiste à créer deux Etats distincts, qui cohabitent côte à côte en paix, en parfaite harmonie et stabilité. Le Souverain souligne également que cette cohabitation ne peut être possible qu’à travers des négociations et des pourparlers pacifiques et une confiance mutuelle entre les deux parties. Le Maroc a des positions fermes par rapport à la cause palestinienne et ne les changera sous aucun prétexte.
Le statut du Souverain, en sa qualité de président du comité d’Al Qods, lui impose de sauvegarder le rang et la légitimité de la Palestine, avec Al Qods-Est comme capitale, sur la base des résolutions de la légalité internationale et dans le cadre d'une solution à deux Etats.
Sa Majesté le Roi n’a eu de cesse d’insister sur la nécessité de préserver le statut spécial de la ville d’Al Qods et de respecter la liberté de pratiquer les rites religieux pour les adeptes des trois religions monothéistes.
Suite à la reconnaissance de la marocanité du Sahara par le président Trump, Sa Majesté s’est entretenu avec Son Excellence Mahmoud Abbas Abou Mazen, président de l’Autorité palestinienne.
La relation entre le Royaume du Maroc et la Palestine est basée sur des liens solides et demeure inchangée. Cette position, le Souverain l’a héritée de Son père feu Hassan II. L’action du Royaume pour consacrer la marocanité du Sahara ne se fera jamais, ni aujourd’hui ni à l’avenir, au détriment de la lutte du peuple palestinien pour ses droits légitimes.
-L.Q : Que représente cette déclaration quand on connait les manœuvres du polisario ?
- E.A : Cette reconnaissance de la marocanité du Sahara et sa pleine souveraineté sur tout le territoire et l’ensemble de la région sahraouie a soulevé une vive colère du Polisario et des entités qui l’animent. Le polisario n’a d’autre choix que d’accepter l’autonomie.
Les Etats-Unis sont une nation qui a de l’influence à l’échelle internationale et auprès des Nations unies et du Conseil de sécurité. Que le polisario accepte ou pas le décret, il n’a aucun poids devant les USA, son avis importe peu. Soutenu par l’Algérie, le polisario a choisi d’être hors-la-loi, il n’a qu’à assumer sa position. L’Algérie elle-même sera dans une mauvaise posture. Les généraux algériens seront dans l’obligation de courber l’échine; les dés seront jetés.
Par ailleurs, avec la déclaration de Trump, le polisario essuie un nouveau revers, le dernier en date concernant la dernière décision du Conseil de sécurité de l’ONU, qui ne parle plus de référendum, mais plutôt de trouver des solution réalistes et concrètes.
Rappelons aussi l’indignation de la communauté internationale après que le polisario a entravé la circulation au passage routier de Guergarate. En défiant l’ONU, le front séparatiste s’est ainsi tiré une balle dans le pied.
Avec ces agissements, la communauté internationale a ouvert les yeux sur la nature de ce mouvement et surtout sur la menace qu’il représente.
L’autre coup dur pour le polisario, c’est l’ouverture de plusieurs consulats dans les villes du Sahara marocain.
-L.Q : L’administration Biden qui prendra les commandes de la Maison Blanche le 20 janvier, peut-elle revenir sur le décret de Trump ?
- E.A : Effectivement, c’est un point très important que certains observateurs soulèvent. Il y a trois cas où ce décret peut être annulé : le 1er cas est que le président Biden annule ce décret.
Le 2ème cas de figure, la Chambre des représentants des Etats-Unis vote par deux tiers contre ce décret, et la 3ème possibilité, les deux tiers du sénat américain demandent l’annulation de cette promulgation. Bien évidemment, ce scénario est difficilement réalisable, et on voit mal l’administration américaine remettre en cause ce décret.
En effet, Joe Biden a toujours soutenu les mesures prises par Donald Trump en faveur d’Israël, surtout ce genre de normalisation conclu par les Emirats Arabes Unis, Bahreïn, le Soudan et aujourd’hui le Maroc. Biden soutient les accords d’Abraham pour la simple raison que cela arrange les affaires d’Israël.