La répétition est pédagogique, dit-on. Abdellatif Ouahbi se plie volontiers à cet exercice depuis plusieurs semaines. Au point d’agacer sérieusement ses détracteurs.
En effet, la polémique sur cette fameuse histoire d’acte de mariage exigé par les hôteliers aux couples avant de pouvoir partager une chambre ne désenfle pas. Presqu’à chacune de ses sorties médiatiques, le ministre de la Justice en remet une couche, mais en se limitant strictement à une lecture linéaire de la loi.
Mais que dit alors cette dernière sur cette pratique des hôtels exigeant aux couples marocains un acte de mariage ? Rien ! Oualou ! Sur ce point, la loi est muette. Après vingt ans de recherche, Ouahbi martèle qu’il n'a trouvé aucun fondement juridique à cette pratique qui a pris racine dans la société marocaine. Pour finalement conclure que «cette exigence est illégale», les réceptionnistes n’ayant pas l'autorité pour enquêter sur le statut matrimonial des clients.
«Demander un acte de mariage ou tout autre document sans mandat légal est une violation de la vie privée», ajoute-t-il, tout en décriant les hôtels qui demandent aux femmes de prouver qu'elles ne résident pas dans la même ville pour bénéficier de services d'hébergement.
Le ministre va même plus loin : la demande de certificat de mariage dans les hôtels est passible de trois mois de prison et d'amendes.
Au-delà de la loi
Résumons donc : d’un côté, il y a ce que (ne) dit (pas) la loi; de l’autre, il y a une pratique devenue, au fil du temps, une norme, une exigence sociétale qui vise, dit-on, à garantir le respect des mœurs locales. Elle trouve ses racines dans les valeurs culturelles et religieuses du Maroc, pays à majorité musulmane où les relations sexuelles hors mariage sont officiellement illégales.
Dès lors, deux visions s’affrontent dans ce Maroc contemporain. Pour certains, le fait de devoir prouver leur statut marital aux hôteliers est une atteinte à leur vie privée et à leur liberté individuelle.
Et pour ceux qui s’érigent en défenseurs autoproclamés d’une certaine vertu, notamment les milieux conservateurs et islamistes, cette exigence est un moyen de préserver la moralité publique et de prévenir les comportements jugés immoraux. Ces derniers, dans une ferveur quasi hystérique, voient dans tout discours allant dans le sens de fustiger cette pratique une tentative de sécularisation rampante et une incitation à la débauche.
Cette polémique met en lumière l’hypocrisie qui gangrène la société marocaine. D’un côté, on prône une moralité stricte en public, mais de l’autre, la réalité est souvent bien différente. Car, pour les couples non mariés, il y a toujours, avec la complicité des hôteliers, des arrangements pour contourner les restrictions : prendre deux chambres, quand bien même l’une d’elle est appelée à rester vide. Les premiers paient pour un service qu’ils ne consommeront guère, et les seconds, disons-le clairement, usurpent une autorité qui ne leur appartient pas et améliorent (illégalement) le taux de remplissage de leurs établissements. Dit autrement, l’argent botte le train à la morale.
Cette hypocrisie n’est ni plus ni moins que le reflet d’une société qui peine à se libérer de ses contradictions. Pour dire que cette controverse s'inscrit dans un débat plus large sur les libertés individuelles et la modernisation de la société marocaine. En effet, la question de l'acte de mariage dans les hôtels n'est que la partie émergée de l'iceberg. Elle renvoie à des problématiques plus profondes concernant le contrôle social, l'autonomie individuelle et la place de la religion dans la sphère publique.
Convenons-en : la société marocaine se plaît à jouer un double jeu, et s'il y a bien un domaine où cette hypocrisie s'exprime également sans vergogne, c'est celui de la consommation d'alcool.
La loi marocaine interdit la vente d’alcool aux musulmans. Mais l'image des rayons bien garnis dans les supermarchés et les files d'attente dans les débits de boissons en disent long sur l'ampleur de cette contradiction. Loin des regards scrutateurs, les fêtes sont aussi souvent bien arrosées. Les bars et discothèques prospèrent.
La schizophrénie sociale qui sévit au Maroc crée ainsi une culture du secret et de la dissimulation, où l'apparence prime sur la réalité, et où la façade est plus importante que les faits.
Tout cela reflète une société coincée entre tradition et modernité. Entre ce qu'elle veut être et ce qu'elle est réellement.
F. Ouriaghli