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L’illusion numérique : Quand les écrans détournent la jeunesse de l’essentiel

L’illusion numérique : Quand les écrans détournent la jeunesse de l’essentiel


Avec près de 4,9 milliards d’utilisateurs dans le monde, les réseaux sociaux façonnent désormais les imaginaires collectifs à une échelle inédite.

 

Chaque notification vibre comme une promesse. Chaque story s’efface plus vite qu’elle n’a été vue.

Dans ce théâtre d’ombres numériques, nos jeunes avancent, le regard rivé à l’écran, guidés par des algorithmes qui dictent l’attention, orientent l’humeur et modèlent l’estime de soi.

Alors que les réseaux sociaux étaient censés rapprocher, ils creusent souvent une distance invisible, mais vertigineuse. Entre eux et le réel. Entre eux-mêmes.

Le choix de ce sujet n’est pas anodin. Il est urgent. Il est vital. Jamais dans l’histoire moderne un outil n’a autant façonné les imaginaires, les comportements et les repères d’une génération. Aujourd’hui, près de 90% des adolescents sont actifs sur au moins une plateforme. Scroller, liker, publier : ces gestes sont devenus des réflexes, presque rituels.

Pourtant, derrière l'apparente légèreté de cette vie en ligne, se cachent des tensions profondes, silencieuses, parfois destructrices.

Ils construisent leur identité à travers des publications filtrées, leur valeur à travers des likes volatils, leur humeur à travers des vues comptabilisées. Chaque post devient un test de validation, chaque selfie une quête d'approbation.

Dans cette mise en scène permanente de soi, l’authenticité se dissout. Et plus ils cherchent à se rendre visibles, plus ils s’éloignent d’eux-mêmes.

À mesure que les écrans prennent le pas sur les regards, le lien social réel s’effrite. Les échanges en face à face sont remplacés par des messages instantanés, souvent vides de profondeur. La table familiale se transforme en zone morte, chacun absorbé par ses «notifications prioritaires».

L’école, elle aussi, subit ce glissement : près de 40% des étudiants avouent que leur usage excessif des réseaux nuit à leur concentration et à leurs résultats. Les livres sont remplacés par les «threads», les exposés par des vidéos de quinze secondes, et la pensée par des formats prédigérés.

Mais au-delà de cette désocialisation rampante, c’est la santé mentale des jeunes qui vacille. Les études se multiplient, les chiffres s’alignent : les adolescents passant plus de trois heures par jour sur les réseaux sont nettement plus exposés à l’anxiété, à la dépression et à une baisse significative de l’estime de soi.

Derrière les profils bien cadrés se cachent souvent des existences fragmentées, tiraillées entre désir d’appartenance et sensation de ne jamais être «assez».

Les dangers ne s’arrêtent pas là. Le cyberharcèlement s’immisce dans les vies, sournois et cruel. Un jeune sur trois déclare avoir déjà été victime d’attaques verbales ou de moqueries en ligne.

Les discours de haine se propagent plus vite qu’un rire sincère. Et chaque insulte numérique, aussi brève soit-elle, peut laisser une trace bien réelle.

À cela s’ajoute un autre péril silencieux : la désinformation. Sur ces plateformes, les fake news circulent à la vitesse d’un partage, souvent plus virales que la vérité. Et les jeunes, en quête de repères, peuvent absorber des contenus biaisés, voire toxiques, sans toujours disposer des outils critiques pour les déconstruire.

Au Maroc, une enquête du Centre marocain pour la citoyenneté (CMC) révèle que près de 86% des jeunes se connectent plusieurs fois par jour, et 9,5% se disent dépendants.

Les plateformes les plus populaires – Facebook, Instagram, TikTok- deviennent autant de scènes où se jouent des tragédies silencieuses. Et quand près de 33% déclarent avoir été diffamés en ligne, ce n’est plus un simple malaise passager : c’est une alerte sociale.

Mais dans cette toile numérique, tout n’est pas noir. Les réseaux sociaux peuvent aussi éclairer.

Ils ont vu naître des mouvements d’ampleur mondiale. Ils ont permis à des voix longtemps ignorées d’être entendues, relayées, soutenues. Ils ont offert à certains jeunes une tribune, une échappatoire, un espace d'engagement. Lorsqu’ils sont utilisés à bon escient, ces outils deviennent des leviers d'expression, d'éveil et de transformation.

La question, alors, n’est pas de les condamner. Elle est de les réapprivoiser.

Les parents, les éducateurs, les institutions ne peuvent plus détourner le regard. Ils doivent être des guides, non des juges. Une éducation numérique s’impose, urgente et structurée. Une pédagogie qui apprend à décrypter, à critiquer, à résister à la tentation du spectaculaire.

Il est temps de créer des espaces – à l’école, dans les quartiers, dans les foyers – où les jeunes peuvent parler de leur rapport aux écrans, sans peur ni tabou. Où ils peuvent se reconnecter à eux-mêmes.

Car ce ne sont pas les écrans qui abîment, c’est l’absence de repères.

Et si les réseaux sont des toiles, alors apprenons-leur à tisser autrement. À créer du lien, pas juste des followers. À poster ce qu’ils pensent, pas ce qu’on attend d’eux. À devenir les auteurs de leur vie, pas les acteurs d’un scénario dicté par des algorithmes.

Au terme de ce scroll mental, une vérité s’impose. Quand l’écran s’éteint, que reste-t-il vraiment ?
L’enjeu n’est plus simplement numérique : il engage notre humanité même.

La question n’est plus de gérer les écrans, mais de redonner du sens à ce qu’ils masquent : le lien, l’ancrage, la vérité du regard.

Peut-être que la vraie révolution commence dans ce miroir sans filtre où nos jeunes apprennent enfin à se voir… tels qu’ils sont.

Dans un monde où tout s’efface d’un swipe, comment leur transmettre ce qui ne disparaît jamais ?
Et si, au lieu de leur offrir un énième miroir numérique, nous devenions enfin leur boussole ?

Abdelkhalek Hassini  
Enseignant-formateur en France, chroniqueur, conférencier, spécialiste en Migration et Développement et acteur associatif

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