Entretien avec le Dr Omar Bettas, psychiatre au centre psychiatrique universitaire et professeur à la faculté de médecine à Casablanca.
Propos recueillis par : Sara KASSIR
LaQuotidienne : Le rapport “Arab barometer” de l’université américaine Princeton, qui a porté sur la région MENA, a révélé que 20% des Marocains souffrent de dépression. A votre avis, à quoi cela est-il dû exactement ?
Omar Bettas : De façon générale, la dépression, qui se définit comme étant un trouble d’humeur, est une maladie très fréquente. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent plusieurs études réalisées dans divers pays du monde.
D’après ces études, la dépression est présente entre 15 et 20% de la population mondiale. Elle prédomine chez le sexe féminin et touche pratiquement tous les âges (enfants, adultes et sujets âgés).
Les 20% de Marocains qui souffrent de dépression selon l’étude, peuvent être expliqués à mon sens, surtout si l’étude de l’université américaine a été menée pendant la période du confinement, caractérisée par énormément d’éléments stressogènes : l’incertitude, la peur de la maladie, de la mort ou encore de l’imprévisible, entre autres.
Lorsque le stress dure dans le temps, il devient un facteur de risque pour la dépression.
Autrement dit, si quelqu’un est fragile, il sera forcément amené à souffrir de la dépression.
L.Q : Le même document indique que 29% des Marocains se plaignent presque toujours de stress, dont 31% en milieu rural et 28% en milieu urbain. Pourrions-nous dire que ces deux phénomènes sont liés ? Si oui, dans quelles mesures ?
O.B : Je trouve que le fait que cette étude révèle que 29% des Marocains sont stressés n’est point étonnant.
Dans d’autres pays, les chiffres sont épatants, comme en Chine, par exemple : le taux de stress y oscille entre 30 et 40% de la population.
Outre les conséquences psychologiques, sociales et économiques que génèrent cette pandémie, le confinement, le déconfinement et un certain retour à la vie normale deviennent en eux-mêmes stressogènes, notamment lorsque la population ne se retrouve pas prête à accepter tous ces changements en un laps de temps bien déterminé.
Par contre, ce qui me semble étonnant, c’est de trouver qu’il y a plus de stress en milieu rural qu’en milieu urbain, 31% et 28% respectivement. En effet, le stress a tendance à s’installer, généralement, dans les grandes villes, où il y a plus de facteurs qui le fomentent.
L.Q : Le taux de dépression au sein de la population marocaine s’est accentué pendant la crise sanitaire actuelle. Dans quelles mesures le psychiatre et le psychologue peuvent travailler pour aider les citoyens dans ce contexte sanitaire particulier ?
O.B : Durant la période du post confinement, la psychiatrie a été très sollicitée. D’abord parce que pendant le confinement, beaucoup de patients s’abstenaient de faire toutes sortes de consultations psychiatriques, par peur de se rendre à une unité hospitalière quelconque et choper bien évidemment le virus; ce qui a diminué considérablement les prises en charge et a poussé, même des fois, à des suspensions des activités de quelques psychiatres.
Cette situation a fait qu’après le déconfinement, aux anciens patients se sont été ajoutés de nouveaux souffrant de stress ou de dépression à cause de la pandémie); et donc la demande en psychiatrie au Maroc a augmenté considérablement.
L.Q : Loin de l’épidémie, la santé psychologique est fondamentale tout comme la santé physique de l’Homme. Or, au Maroc, l’idée de visiter un médecin spécialiste pour diagnostiquer de possibles troubles ou perturbations psychologiques n’est pas très ancrée. En tant que spécialiste, comment réagissez-vous face à une telle situation ?
O.B : Si l’on parle de ces deux dernières décennies, la demande pour les psychiatres a énormément augmenté, du fait de la prise de conscience de la population et une meilleure sensibilisation. Et ce, grâce notamment aux mass médias, qui ont joué pleinement leur rôle en dissipant les préjugés qui ont été créés autour de cette branche fondamentale de la santé, et sur les troubles psychiatriques de façon générale.
En tant que professionnels en santé psychiatrique, nous avons joué un grand rôle de sensibilisation à l’importance de visiter un psychiatre au moment opportun durant le confinement, surtout à travers des dizaines de webinaires et conférences organisés en ligne.
Notre objectif était de vulgariser la dépression et quelques notions qui pivotent autour de ce concept, ainsi que d’attirer l’attention du public sur la santé mentale.
L.Q : Selon vous, existe-il une action amorcée par la tutelle en faveur de l’amélioration de la santé psychologique des citoyens marocains ?
O.B : Depuis 2012, la psychiatrie est devenue l’une des priorités du ministère de la Santé, après la mortalité infantile et maternelle, les urgences et certaines maladies chroniques.
Les maladies psychiatriques ont pris donc place aujourd’hui dans notre écosystème sanitaire, plus qu’auparavant, à travers notamment le plan national de la santé 2020-2025.
Ce qui compte au moment de mettre en place cette stratégie, c’est l’investissement en moyens financiers et humains suffisants pour pouvoir atteindre les différents objectifs escomptés.