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Déficit commercial : «Le rééquilibrage exige une approche multidimensionnelle»

Déficit commercial : «Le rééquilibrage exige une approche multidimensionnelle»

Le déficit commercial du Maroc s’est creusé à 133 Mds de DH à fin mai 2025, en hausse de 15% sur un an. Ce déséquilibre s’explique par la forte progression des importations. Entretien avec Mohamed Benchekroun, expert en économie et professeur de management.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo: Le déficit commercial du Maroc a atteint 133 milliards de dirhams à fin mai 2025, en hausse de plus de 15% sur un an. Que révèlent ces chiffres et quels en sont les facteurs structurels ou conjoncturels ?

Mohamed Benchekroun : À fin mai 2025, le déficit commercial du Maroc a atteint 133 milliards de dirhams, en hausse de 15,1% par rapport à la même période en 2024. Cette détérioration s'explique en partie par des facteurs structurels persistants. D’une part, le Maroc importe massivement des biens d’équipement à forte valeur ajoutée, indispensables à sa chaîne de production, notamment dans les secteurs automobile et aéronautique, piliers de ses exportations. Ces produits requièrent des technologies avancées et une expertise industrielle que le tissu productif national ne peut à ce jour remplacer. D’autre part, la dépendance énergétique continue de peser lourdement sur la balance commerciale, malgré une légère baisse de la facture énergétique en 2025. Ces éléments soulignent la nécessité pour le Maroc de renforcer sa montée en compétence industrielle et d’accélérer sa transition énergétique pour réduire son déficit de manière durable.

 

F. N. H. : Les importations continuent de croître plus vite que les exportations. Cette dynamique reflètet-elle une faiblesse persistante de la compétitivité des produits marocains à l’international ?

M. B. : Effectivement, cette tendance met en lumière certaines limites structurelles de la compétitivité marocaine à l’échelle internationale. Si les exportations progressent modestement (+2,8% à fin mai 2025), elles restent en retrait par rapport aux importations qui, elles, ont crû de +7,4%. Cela traduit un déséquilibre qui n’est pas purement conjoncturel. Trois éléments principaux peuvent expliquer cela. D’abord, la structure même de nos exportations reste concentrée sur quelques secteurs : automobile, phosphates, aéronautique et agroalimentaire. Cela rend notre économie vulnérable aux fluctuations sectorielles ou géopolitiques. Ensuite, la valeur ajoutée de nos produits reste globalement faible à moyenne. Nous avons encore du mal à nous positionner sur les segments à forte intensité technologique, où la concurrence mondiale est plus exigeante mais aussi plus rémunératrice. Enfin, malgré des progrès notables sur le plan logistique et industriel, des freins comme le coût du transport, la fragmentation des chaînes de valeur et une productivité encore insuffisante pèsent sur notre compétitivité globale. Il est donc important d’inverser cette tendance. Pour cela, le Maroc devra miser davantage sur la montée en gamme industrielle, l’innovation, et surtout sur l’élargissement de ses débouchés internationaux, notamment en Afrique et en Amérique latine. Une stratégie d’export plus audacieuse et mieux ciblée est aujourd’hui indispensable.

 

F. N. H. : Face à cette situation, où en est le programme de substitution aux importations lancé par le ministère de l’Industrie et du Commerce ? Quels résultats tangibles observe-t-on à ce jour ?

M. B. : Le programme de substitution aux importations, lancé en 2020 par le ministère de l’Industrie et du Commerce, constitue une réponse stratégique à la vulnérabilité du tissu productif marocain face aux chocs extérieurs. L’objectif affiché est de réduire progressivement le déficit commercial en développant localement les produits fortement importés, tout en renforçant la souveraineté industrielle du pays. À ce jour, les résultats sont encourageants, mais restent partiels. Sur plus de 900 projets industriels identifiés dans le cadre de ce programme, plus de 140 ont été validés pour un investissement global dépassant 40 milliards de dirhams, avec la promesse de créer une dizaine de milliers d’emplois. Des secteurs comme le textile technique, l’agro-industrie, la plasturgie et les pièces de rechange automobiles ont connu une impulsion notable. Cela dit, l’impact réel sur la balance commerciale reste encore limité. Les délais de réalisation, les contraintes technologiques, l’accès au financement et la dépendance aux intrants importés freinent parfois la mise en œuvre rapide des projets. Autrement dit, la substitution ne peut pas être immédiate, car elle suppose un écosystème industriel complet, des compétences locales qualifiées et une politique d’accompagnement plus intégrée. Il faut donc saluer l’ambition de ce programme, tout en soulignant qu’il s’agit d’un travail de fond, à inscrire dans la durée, et qui nécessitera une synergie renforcée entre l’État, les industriels, les centres de recherche et les opérateurs financiers.

 

F. N. H. : Quelles pistes prioritaires devraient être privilégiées pour rééquilibrer durablement la balance commerciale du Maroc, dans un contexte marqué par la relance industrielle et les ambitions exportatrices du Royaume

M. B. : Le rééquilibrage durable de la balance commerciale du Maroc exige une approche multidimensionnelle, articulée autour de trois leviers prioritaires. Premièrement, il est indispensable de renforcer la capacité productive locale dans les segments à forte valeur ajoutée. Cela suppose d’accélérer l’intégration industrielle, notamment en développant des écosystèmes capables de produire localement les intrants stratégiques des filières exportatrices (automobile, aéronautique, pharmacie, etc.). Il faut aller au-delà de l’assemblage pour monter en gamme et gagner en autonomie. Deuxièmement, le Maroc doit adopter une stratégie exportatrice plus agressive et mieux ciblée. Cela implique de diversifier les marchés d’exportation, notamment vers l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine et l’Asie du Sud-Est, tout en consolidant les positions dans l’UE. Il faut aussi promouvoir le label «Made in Morocco» comme un gage de qualité, en misant sur la certification, la normalisation et la compétitivité logistique. Enfin, la troisième priorité est énergétique. Le Royaume doit réduire structurellement sa facture énergétique à travers une transition vers les énergies renouvelables, domaine dans lequel il a un avantage comparatif indéniable. Produire localement une part croissante de son énergie est une condition essentielle pour alléger la pression sur les importations. Seule une politique industrielle cohérente, appuyée par une diplomatie économique proactive et une stratégie énergétique structurée, pourra permettre au Maroc de corriger durablement ses déséquilibres extérieurs tout en consolidant sa souveraineté économique.

 

F. N. H. : À la lumière des dernières données, quels sont les secteurs industriels qui vous semblent aujourd’hui stratégiques pour inverser la tendance du déficit commercial et renforcer la souveraineté productive du Maroc à moyen terme ?

M. B. : Plusieurs secteurs se distinguent particulièrement pour inverser la tendance du déficit commercial et renforcer la souveraineté productive du Maroc. D’abord, l’industrie du phosphate, portée par l’Office chérifien des phosphates (OCP), connaît un réel boost. L’OCP poursuit une stratégie ambitieuse de diversification et de personnalisation des engrais, adaptés aux besoins spécifiques de chaque pays et marché, en réponse à une demande mondiale croissante. Cela dynamise fortement les exportations marocaines. Dans l’automobile et l’aéronautique, il est primordial d’augmenter le taux d’intégration locale en attirant davantage d’investisseurs étrangers et en développant des fournisseurs locaux à plus forte valeur ajoutée. Ce modèle de montée en gamme peut aussi inspirer le développement de nouveaux secteurs industriels, tels que la production de trains à grande vitesse et la fabrication de produits électroniques. Par ailleurs, la transformation de l’agriculture vers l’agrobusiness et l’agro-industrie constitue un levier essentiel. Étant donné la part importante de l’agriculture dans le PIB, cette montée en valeur ajoutée permettra de renforcer la compétitivité des exportations agricoles. Enfin, l’ouverture prochaine des ports de Nador West Med et de Dakhla Atlantic offre une opportunité stratégique majeure. Ces infrastructures doivent être mises à profit pour créer de nouvelles zones industrielles qui attireront les investissements étrangers, notamment dans les régions du nord et du sud du pays. Ces pôles industriels innovants renforceront l’attractivité du Maroc et faciliteront la montée en gamme industrielle, contribuant ainsi à un rééquilibrage durable de la balance commerciale. Cette combinaison d’efforts sectoriels et territoriaux peut véritablement repositionner le Maroc sur une trajectoire de souveraineté économique et de croissance équilibrée. 

 

 

 

 

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