À l’aube du premier Sommet arabo-africain sur le financement non lucratif à Rabat, des acteurs régionaux explorent de nouvelles approches. La finalité est de créer une solidarité durable, adaptée aux réalités locales et portée par les jeunes leaders. Entretien avec Dr Nizar Chaari, fondateur d'EPIK Leaders et organisateur du Sommet.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo: Le retrait de l’USAID de plusieurs pays africains a fragilisé de nombreux projets associatifs. Quelles sont les conséquences concrètes de ce désengagement sur le terrain, et comment les acteurs locaux peuventils y faire face ?
Dr Nizar Chaari : Ce désengagement, et plus largement l’essoufflement des financements traditionnels et des aides extérieures, nous confronte à une urgence vitale : celle de réinventer les modèles de solidarité. Sur le terrain, la conséquence concrète est la fragilisation de la continuité des projets à fort impact social. Lorsque les financements se tarissent, des initiatives en matière de santé, d’éducation ou d’autonomisation des jeunes s’arrêtent, créant des ruptures qui affectent directement les communautés. Notre réponse est évidente : le développement de l’Afrique ne viendra pas de la générosité extérieure, mais de notre capacité à inventer nos propres modèles. Il s’agit de passer d’une logique d’assistance à une logique de partenariat, et de construire une véritable souveraineté solidaire. Le sommet de Rabat vise à créer des mécanismes de financement plus résilients, enracinés dans nos valeurs et nos économies locales, pour ne plus dépendre des fluctuations géopolitiques.
F. N. H. : Vous mettez en avant la Zakat et le Waqf comme leviers de financement alternatifs. En quoi ces instruments, profondément ancrés dans la culture arabomusulmane, peuventils devenir des outils modernes de développement solidaire ?
Dr N. C. : Le financement du non-profit, ce n'est pas de la charité, c'est un acte de leadership et un investissement dans la cohésion sociale et l'avenir des jeunes. La Zakat et le Waqf ne sont pas de simples dons : ce sont des institutions financières sociales historiques, basées sur des principes de durabilité et de redistribution structurée. Ils offrent un potentiel de financement immense et stable. Le Waqf, en particulier, permet de générer des revenus pérennes pour financer sur le long terme des initiatives sociales, culturelles ou citoyennes, offrant une résilience que les dons ponctuels ne peuvent égaler. Notre approche est d'utiliser ces instruments ancrés, dans la culture arabo-musulmane comme dans nos économies locales, et de les moderniser. Nous devons les intégrer aux mécanismes de la finance moderne pour en faire des leviers de financement durable à l'échelle du continent, en partenariat avec les institutions, les entreprises et les citoyens.
F. N. H. : La question de la transparence et de la confiance est cruciale dans le secteur associatif. Comment les nouvelles technologies financières (fintech, blockchain, traçabilité des dons) peuvent-elles contribuer à renforcer la crédibilité du financement non lucratif ?
Dr N. C. : La gouvernance et la transparence sont le socle de la confiance, et la confiance est la monnaie d’échange essentielle dans le non-profit. Nous devons utiliser la technologie comme un atout majeur. Les fintechs, la blockchain et les outils de traçabilité des dons ne sont pas des gadgets ; ce sont des solutions qui garantissent l'imputabilité et l'effiacité. Elles permettent aux donateurs, qu'ils soient des entreprises, institutions ou citoyens, de savoir exactement où va leur argent et quel est l'impact généré. En intégrant ces technologies, nous passons à un financement non-profit transparent et crédible. C'est un point essentiel de notre feuille de route, à savoir améliorer la transparence pour construire la confiance nécessaire à l'attraction de nouveaux partenaires et investisseurs sociaux.
F. N. H. : Quelles discussions et initiatives concrètes espérez-vous voir émerger lors du premier Sommet arabo-africain sur le financement non lucratif pour ouvrir de nouvelles pistes de financement durable et solidaire dans la région ?
Dr N. C. : Notre ambition est de faire en sorte que le sommet du 20 novembre à Rabat marque un véritable tournant. Nous voulons sortir de cet événement avec une feuille de route pragmatique et des projets pilotes immédiatement déployables. Les discussions se concentreront sur la diversification des sources et la mise en place de modèles comme le crowdfunding éthique et l'intégration de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans les stratégies des entreprises arabes et africaines. L'objectif n'est pas un exercice de communication, mais une rencontre d'acteurs décidés à passer à l’action. D'ici 2026, nous voulons que les premiers projets issus de cette réflexion commune soient financés et déployés sur le terrain. Ce sera la preuve qu’une nouvelle forme de solidarité arabo-africaine, lucide et structurée est désormais possible.
F. N. H. : Ce premier sommet ambitionne de créer un pont durable entre les acteurs du monde arabe et ceux d’Afrique. Concrètement, comment EPIK Leaders compte-telle structurer cette coopération et garantir un impact à long terme ?
Dr N. C. : L’organisation de ce sommet à Rabat n’est pas un hasard. Le Maroc s’impose naturellement comme le trait d’union entre le monde arabe et l’Afrique, en cohérence avec la politique africaine portée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu l’assiste. Pour garantir un impact à long terme, nous avons structuré notre action autour de trois piliers majeurs :
• Le Livre blanc : À l’issue du sommet, nous publierons un Livre blanc définissant une feuille de route commune et proposant des mécanismes de financement testés sur le terrain dès 2026
• La plateforme permanente: Nous créerons un espace de dialogue et de coopération réunissant institutions, ONG et entreprises, afin d’assurer un suivi régulier et un échange continu de connaissances.
• L’incubation de projets : Des projets pilotes collaboratifs entre pays arabes et africains seront lancés, utilisant les nouveaux mécanismes de financement définis au sommet. EPIK Leaders se positionne comme catalyseur et incubateur de ces solutions, en liant étroitement le financement à l’action concrète sur le terrain.
F. N. H. : En quoi les jeunes leaders africains et arabes constituent-ils un levier de choix pour le renforcement et la résilience du secteur associatif, et comment EPIK Leaders œuvre-t-elle à leur accompagnement et à la valorisation de leurs initiatives à impact social ?
Dr N. C. : La jeunesse, c'est la raison d'être d'EPIK Leaders. Nous partons d’une conviction profonde : la jeunesse africaine ne réclame pas de place, elle la construit. Elle entreprend et elle s'engage. Le jeune leader est un levier de choix car il est sur le terrain, innove, et cherche des solutions adaptées à nos réalités locales. C'est le financement comme acte de leadership. EPIK Leaders accompagne ces jeunes leaders de manière structurée à travers deux piliers principaux :
• Formation et réseau : dans cette optique, nous formons cette nouvelle génération de leaders et leur offrons un vaste réseau de plus de 50.000 membres et 550 clubs actifs dans 15 pays africains.
• Les clubs-laboratoires : Le modèle marocain du Welcome Fest, avec la création de 100 clubs de leadership étudiant dans les universités, sert de laboratoire d'action et d'innovation sociale, un modèle qui est désormais dupliqué dans d’autres pays.
Ce sommet s'inscrit dans cette continuité naturelle; nous avons formé les leaders, nous leur avons donné un réseau et des outils d'expérimentation. Maintenant, il faut leur donner les moyens financiers de concrétiser leurs idées et d'amplifier leur impact social.