La Commission nationale chargée d’examiner la réforme va tenir sa première réunion dans les prochains jours. Caisses déficitaires, vieillissement de la population et tension sur le marché du travail : le système actuel s’essouffle. A un an des législatives, ce dossier pourrait bien devenir le fardeau ou le tremplin du gouvernement Akhannouch.
Par D. William
Il y a dans le débat public des serpents de mer qui remontent à la surface à intervalles réguliers. La réforme des retraites en fait partie. On en parle depuis des années, on la décale, on la discute, mais on ne la fait jamais vraiment. Parce que c’est une réforme aux enjeux socioéconomiques très importants, mais qui est surtout très impopulaire. Pourtant, elle est urgente, au regard notamment de la situation actuelle.
La Caisse marocaine des retraites (CMR), en particulier, fonce droit vers le mur. Un mur de 9,8 milliards de dirhams de déficit technique, avec des réserves qui devaient être épuisées d’ici… 2028. Mais grâce à l’augmentation de la masse salariale des fonctionnaires dans le cadre du dialogue social, le gouvernement peut se targuer d’avoir repoussé cette échéance à 2031.
Un répit seulement. La réforme est donc non seulement urgente, mais surtout inévitable. D’ailleurs, même le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, l’a reconnu devant les parlementaires : «il est temps d'amorcer un débat sérieux et responsable sur la réforme des systèmes de retraite au Maroc».
On ne peut plus clair. C’est dans ce contexte que la Commission nationale chargée d’examiner cette réforme tant attendue s’apprête à tenir sa première réunion. En face, les partenaires sociaux, syndicats en tête, aiguisent leurs armes et soupèsent chaque déclaration. Ils veulent du concret et une proposition solide. Et surtout, ils ne veulent pas que cette réforme soit l’occasion de détricoter ce qu’ils ont mis des années à négocier.
«Nous sommes contre toute réforme qui se fait aux dépens des salariés et qui touche les acquis. La population des retraités est la plus impactée par la baisse du pouvoir d’achat et la mauvaise conjoncture. Une mouture imposée risque de générer une grogne sociale», nous confiait récemment Mostafa Hasni, de la Confédération démocratique du travail (CDT). Non sans ajouter qu’«il faut améliorer la gouvernance des caisses et lancer une gestion intelligente, moderne et efficace afin d’éviter les erreurs du passé».
Et les erreurs du passé, on les connaît. Elles s’appellent immobilisme, manque de transparence et réformes techniques sans réformes structurelles, auxquelles s’ajoutent des déséquilibres démographiques croissants. D’ailleurs, d’après le dernier recensement de 2024, le diagnostic est sans appel : le Maroc vieillit.
Près de 5 millions de Marocains ont 60 ans ou plus contre 3,2 millions en 2014. Une augmentation annuelle de 4,6%, bien au-delà du taux de croissance démographique global, limité à 0,85%. On comprend dès lors le déséquilibre qui se creuse entre actifs et retraités. En 1986, 12 actifs soutenaient un retraité; aujourd’hui, ils ne sont plus que 1,7.
Le professeur Hassan Edman, économiste à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales d’Agadir, nous résumait récemment l’équation ainsi : « face à l’augmentation du nombre de retraités et à la diminution de la population active, la capacité à financer les pensions devient un défi de plus en plus complexe, représentant une préoccupation majeure et urgente». Il enfonce le clou en expliquant que «le faible taux de couverture de la population active, conjugué au chômage élevé, fragilise encore davantage les régimes de retraite».
Autrement dit, on a une pyramide des âges qui se retourne, un marché du travail en tension et une couverture sociale qui n’inclut toujours pas une part significative de travailleurs, notamment dans le secteur informel ou l’agriculture. Pourtant, des premières mesures ont déjà été prises en 2016. L’âge légal de départ à la retraite est passé progressivement de 60 à 63 ans dans le public et les taux de cotisation ont été relevés de 20 à 28%. Mais, malheureusement, les déficits sont toujours là et les caisses publiques bien fragiles.
Courage politique
Sur le fond, la réforme envisagée prévoit un système à deux pôles : un public, pour les fonctionnaires et agents publics, et un privé, pour les salariés du secteur privé. Une architecture plus claire et plus rationnelle donc. Cette structure bipolaire devrait permettre une gestion plus efficace et une meilleure répartition des ressources, tout en assurant une couverture plus étendue et plus équitable des bénéficiaires.
Le Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques (CCSRS) y voit une nécessité, d’autant que les réformes ponctuelles dans le cadre du dialogue social de 2024 ont repoussé les échéances de crise, mais sans garantir la viabilité à long terme. En réalité, ce qui manque, ce n’est pas l’intention. C’est le courage politique d’engager une réforme systémique et non cosmétique. Mais la situation a au moins un mérite : elle met tout le monde d’accord. Gouvernement, syndicats, experts, patronat…, tous reconnaissent l’urgence.
Mais comme souvent au Maroc, le consensus sur le constat ne suffit pas à accoucher d’un consensus sur les solutions. A aboutir à un compromis qui va satisfaire tout le monde. Faut-il allonger encore l’âge de départ ? Augmenter les cotisations? Réduire les pensions ? Toutes les options sont sur la table. Edman, lui, propose une piste alternative.
«Je pense qu’il reste encore beaucoup à faire pour élargir l’assiette des cotisants, notamment dans le cadre de la généralisation de la couverture sociale. Cela implique d’intégrer les travailleurs indépendants, les non-salariés et les saisonniers à travers des régimes simplifiés et adaptés à leurs besoins», recommande-t-il.
Il préconise également un système multi-piliers, avec un socle universel, une retraite par répartition, un régime complémentaire obligatoire et un dernier pilier facultatif. C’est clair, on ne peut plus raisonner comme dans les années 80. Le monde du travail a changé et, dans tous les pays, c’est la même problématique : moins de cotisants, plus de pensionnés.
Le Maroc n’y échappe pas. Il ne peut donc faire l’économie d’une réforme de fond. Une réforme qui devra se construire pas à pas, dans un cadre consensuel, avec les partenaires sociaux. Sinon, le rejet est assuré. Convenons-en, la réforme des retraites est peut-être le dossier le plus explosif de ce quinquennat. Le risque n’est pas seulement social, il est aussi économique… et éminemment politique.
Le gouvernement, en s’attaquant à ce chantier longtemps délaissé par ceux qui l’ont précédé, joue en effet gros. Très gros. A un an des prochaines législatives, cette réforme va certainement constituer un marqueur politique important. Le tout est de savoir dans quel sens elle va influencer le vote des électeurs.