Le Royaume subit sa septième année consécutive de sécheresse, et dans cette lutte acharnée contre la rareté de l’eau, le gouvernement multiplie les initiatives et accélère ses investissements. Mais ces derniers doivent servir tant dans la gestion de la demande que dans celle de l’offre.
Par Désy M.
Dressant le bilan de la situation hydrique, Nizar Baraka ministre de l’Équipement et de l’Eau, a affirmé récemment devant la Chambre des conseillers que «ce que nous vivons aujourd’hui est exceptionnel. Malgré sept années consécutives de sécheresse, nous poursuivons la politique des barrages, développons le dessalement et multiplions les solutions locales afin que chaque citoyen, où qu’il vive, ait accès à une eau potable sûre».
Bien que cette année la situation hydrique semble moins dramatique avec une baisse de précipitation de 20% vs 48% l’année dernière, la réalité demeure inquiétante. Les apports du mois de septembre n’ont pas dépassé 160 millions de mètres cubes, tandis que le taux de remplissage des barrages plafonne à 32%.
En dix ans, le déficit hydrique s’est creusé de près de 60%, mettant à rude épreuve barrages et nappes phréatiques. Selon les orientations de la note de présentation du projet de Loi de Finances 2026, l’heure est au déploiement accéléré du Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation (PNAEPI).
En effet, depuis l’indépendance, la stratégie hydraulique nationale repose sur la construction de barrages pour stocker et réguler les eaux de surface. Aujourd’hui, le Maroc compte 156 grands barrages d’une capacité totale estimée à 20,8 milliards de mètres cubes. Mais ce modèle historique a montré ses limites; les retenues s’envasent plus vite qu’elles ne se remplissent, et la raréfaction des pluies rend certains ouvrages moins productifs. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement maintient le cap et investit massivement dans de nouvelles capacités de stockage et de transfert.
L'année 2025 a été marquée par la mise en eau du grand barrage Ghiss (province d’Al Hoceima), avec une capacité de 93 millions de m³. De plus, l'achèvement des barrages Koudiat Borna (Sidi Kacem), Béni Azimane (Driouch) et Sidi Abbou (Taounate) est prévu, ajoutant une capacité totale de 256 millions de m³.
Quatorze autres sont en construction et onze nouveaux sont programmés pour la période 2025-2027. En parallèle, le ministère mise aussi sur les petits ouvrages. En effet, 155 barrages collinaires sont dans le pipe, pour un coût global de 6,2 milliards de dirhams, dont 50 déjà lancés. Ces infrastructures de proximité devront sécuriser l’approvisionnement des zones rurales, protéger les villages contre les crues et renforcer l’eau disponible pour l’irrigation et le bétail. Toutefois, certains experts estiment que le fait de construire des barrages dans un pays qui reçoit de moins en moins de pluies, c’est mobiliser des ressources coûteuses pour des volumes de plus en plus incertains.
Pour ces derniers, le Maroc doit désormais investir autant dans la gestion de la demande que dans l’offre. Comme le soulignait l’économiste Najib Akesbi dans nos colonnes, «il faut aller aux racines du mal. Jusqu’à présent, en matière d’eau, on a fait essentiellement de la politique de l'offre, avec notamment les barrages, le développement des systèmes d’irrigation, les usines de traitement de l'eau… Après, on attendait que la pluie tombe. Or, l’on s’aperçoit que l'offre a toujours été incertaine, avec en ce moment une réduction drastique et une raréfaction tendancielle et extrêmement inquiétante des apports en eau. Preuve en est les barrages qui sont vides, ce qui nous fait une bien belle jambe», constate l’économiste Najib Akesbi.
Cette analyse est d’autant plus pertinente que la note de présentation du PLF 2026 concentre les efforts sur trois axes majeurs, à savoir le renforcement de l’offre à nouveau, les mesures d’urgence et l’économie de l’eau qui s’oriente vers un encadrement de la demande.
Encore plus d’offre…surtout urgente
Les interconnexions hydriques constituent un axe clé de cette stratégie. La première tranche urgente reliant les bassins de Sebou et de Bouregreg, achevé en 2023, a permis de transférer près de 871 millions de mètres cubes d’eau vers Rabat, Casablanca et plusieurs zones rurales. Des études sont en cours pour lancer de grands projets de transfert entre les bassins, notamment la connexion entre Oued Laou-Larache/Loukous et Oued Oum Er-Rbia.
Ces réseaux hydrauliques visent à exploiter un milliard de m³ d’eau gaspillée et tissent un maillage national destiné à redistribuer équitablement les ressources et renforcer la résilience des bassins déficitaires. Ce tournant marque un véritable changement de paradigme, estime Nizar Baraka. L’ancien modèle de «solidarité hydrique», où les régions partageaient leurs ressources, cède la place à une logique de «justice hydrique».
Les grandes villes côtières, alimentées par l’eau de mer traitée, libèrent ainsi les ressources des barrages pour les zones rurales et montagneuses. A date, 45 communes rurales bénéficient déjà de cette redistribution sans impact notable sur leurs factures d’eau. Dans cette optique de renforcement de l’offre, le Maroc a amorcé un virage décisif vers le dessalement de l’eau de mer.
En trois ans, la capacité nationale est passée de 30 à 320 millions de m3/an, alimentant près de 5 millions de Marocains. Le projet de Casablanca, actuellement en cours, symbolise cette transition. Avec une capacité prévue de 200 millions de m3/an, il deviendra l’un des plus grands sites de dessalement d’Afrique, couvrant pour sa première phase la moitié des besoins en eau potable de la métropole dès 2026. À terme, plus de 60% des besoins nationaux en eau potable devraient être couverts par le dessalement.
Les ambitions sont considérables, avec des stations en cours de construction à Nador, Tanger, Souss, Tan-Tan, Guelmim et Rabat, sans oublier la mise en service de la station de Dakhla prévue en 2025. La production totale d’eau dessalée devrait atteindre 1,7 milliard de m3/an à l’horizon 2030, de quoi approvisionner près de 24 millions de citoyens. En attendant les effets de ces grands chantiers, le gouvernement déploie des solutions temporaires pour éviter les pénuries et sécuriser l’alimentation en eau potable (AEP), surtout dans les zones les plus vulnérables.
Des programmes d’urgence en 2023- 2024, mobilisant un total de 9,32 milliards de DH, ont permis la sécurisation de l’AEP du Grand Tanger et l’adduction en eau dessalée entre la station de l’OCP à Jorf Lasfar et Daourat/SEOER. De plus, 110 stations mobiles de traitement et de dessalement sont déjà opérationnelles dans les zones rurales, et ce nombre devrait atteindre 200 d’ici 2026. Parallèlement, 1.200 camionsciternes et 10.000 citernes fixes assurent la distribution d’eau potable à 2,7 millions de citoyens.
Quid de cette gestion de la demande ?
Elle est intégrée dans l’axe de l’économie de l’eau. En effet, des efforts sont menés pour une meilleure gestion de la demande et de la rationalisation de l’eau. Par exemple, dans l’agriculture, secteur le plus assoiffé, la stratégie de reconversion à l’irrigation localisée vise à préserver la ressource et doubler la valorisation de l’eau.
Par ailleurs, le programme national d’assainissement liquide mutualisé et de réutilisation des eaux usées traitées (PNAM) a permis d’atteindre un taux de raccordement de 84% en milieu urbain et un taux d’épuration de 58% à fin 2024, permettant de réutiliser environ 52,6 millions de m3 d’eaux usées épurées. Malgré ces efforts, le Maroc figure toujours parmi les vingt pays les plus menacés par la pénurie d’eau d’ici 2040, selon le World Resources Institute. La gouvernance et le financement doivent être efficaces pour soutenir la dynamique.
La loi n°83-21 a créé les sociétés régionales multiservices (SRM) pour optimiser la distribution d’eau potable et d’électricité au niveau national et recentrer l’ONEE sur ses missions stratégiques.
Avec un budget de 16,5 milliards de DH prévus pour 2026, les investissements seront massifs dans le dessalement, les interconnexions et les barrages. Mais la pérennité de ce modèle dépendra aussi de la sobriété hydrique, de la réutilisation accrue des eaux usées traitées, qui ne couvrent encore que 15% des besoins d’irrigation, et d’une sensibilisation renforcée des citoyens et des entreprises à la rareté de l’eau. Le Maroc n’a plus le luxe d’attendre la pluie. Il doit apprendre à gérer la rareté, à stocker intelligemment chaque goutte et à consommer différemment.