A Yaoundé comme à Abidjan, les électeurs ont fait un choix audacieux : celui de ne rien changer. Au Cameroun, Paul Biya vient ainsi d’entamer son huitième mandat avec 53,66% des voix. Un chiffre infini, si on le couche sur le côté. Issa Tchiroma Bakary, arrivé deuxième, crie à la mascarade, revendique 54,8% selon son propre calcul et appelle à défendre sa victoire.
Le taux de participation, qui n’est que de 46,31%, en dit long : quand on tripatouille continuellement la démocratie, les convictions politiques s’étiolent et le vote perd tout son sens. A 92 ans, Biya vient donc de rappeler au monde que la politique n’est pas un sprint, mais un marathon avec arrivée à date indéterminée. En cela, depuis 1982, le Cameroun revient inlassablement à la case départ.
Dans n'importe quelle autre démocratie, un septième, puis un huitième mandat susciterait quelques sourcils levés, voire l’indignation populaire. Au Cameroun, c’est ancré dans la normalité. Après 43 ans au pouvoir, Biya, c’est un peu comme ce meuble ancien dans nos maisons qu’on n’a jamais osé changer : trop lourd et un peu poussiéreux, mais pour lequel on a une certaine affection qui pousse grand-mère à dire «on ne sait jamais, ça peut servir un jour».
Dans ce Cameroun de 2025, où 62% de la population ont moins de 25 ans, le pouvoir donc reste une affaire de vétérans. Où l’ambition affichée est claire : gouverner jusqu’à la mort. Malgré les crises dans les zones anglophones, le chômage massif des jeunes et la détresse sociale, les Camerounais ont ainsi décidé de renouveler leur confiance à Biya. On objectera que la longévité n’est pas un crime. Certes. Mais elle traduit, dans le fond, une certaine résignation populaire. A Abidjan, l’histoire politique s’écrit avec un peu plus de style.
Alassane Dramane Ouattara, ADO pour les intimes, 83 ans, a trouvé la formule magique : lorsque l’on veut prolonger son bail républicain, il suffit de dire que «le devoir peut parfois transcender la parole donnée de bonne foi». Et si possible, le dire d’un ton grave. Cette phrase magnifique dit tout : la justification par l’impératif supérieur, la nécessité qui vient moraliser le reniement et la gravité qui maquille la décision politique en vertu civique. Et voilà comment un quatrième mandat, avec 89,77% des voix s’il vous plait, devient non pas une volonté, mais un service à la nation.
Un score à faire pâlir les plus efficaces des partis uniques. Il faut dire que ses adversaires n’étaient pas franchement menaçants : Jean-Louis Billon, dissident du PDCI, plafonne à 3%, l’ex-première dame Simone Gbagbo à 2,4% et les autres se partagent les miettes. Les poids lourds ? Ecartés. Laurent Gbagbo, disqualifié pour cause de condamnation. Tidjane Thiam, recalé pour cause de «nationalité incertaine».
Bref, ADO a couru seul et il a gagné. Mais ce quatrième mandat a l’inconvénient d’une victoire sans rival. Mode «replay» Biya et Ouattara ne gouvernent pas le même pays, mais forment une belle affiche du continent version «replay». Parce que quelque chose de très profond les relie : la conviction intime que le pouvoir ne s’abandonne pas. Les Constitutions se plient à leurs ambitions, les conseils constitutionnels valident leurs rêves et les opposants font de la figuration.
En Côte d’Ivoire, le mot «devoir» a servi de caution morale. Au Cameroun, «stabilité» est brandie comme un talisman. C’est commode. Mais cela réduit la démocratie à de la fiction. On peut aimer Biya ou Ouattara. On peut même leur reconnaître des succès économiques, diplomatiques ou militaires. Mais peut-on parler de démocratie sans renouvellement de la classe politique ?
Chez l’un comme chez l’autre, l’île de la tentation n’a pas les courbes d’une femme, mais celles d’un pouvoir auquel on ne saurait renoncer. Il serait injuste cependant de dire que Biya et Ouattara sont seuls dans cette catégorie. Non. Ils appartiennent à une confrérie ancienne et prestigieuse : celle des présidents qui ne partent jamais.
Comme Teodoro Obiang Nguema, 83 ans (Guinée Equatoriale, 46 ans de règne), Yoweri Museveni, 81 ans (Ouganda, presque 40 ans de règne), ou encore Denis Sassou Nguesso, 81 ans (Congo, totalise 41 ans de règne). Pour ces dirigeants, quitter le pouvoir est encore plus difficile que de gouverner. Ils ne peuvent se résigner à renoncer aux cortèges, tapis rouges, avions officiels et autres privilèges que leur confère leur fonction. Alors, ils transforment le palais présidentiel en résidence personnelle.
Et permanente. Mais les temps changent. A bout, les peuples grognent et les armées s’agitent. Du Gabon au Niger, en passant par le Burkina Faso, ces dernières années ont démontré un phénomène simple : un mandat de trop est souvent un mandat dangereux. Quand les urnes cessent de convaincre, les bottes s’expriment. Les militaires adorent «sauver la démocratie». Souvent à coups de kalachnikov.
Par D. William