De la défense des services publics à l’exigence de la démission du gouvernement, la rue marocaine a basculé, fin septembre 2025, dans une séquence de contestation dont nul ne peut encore prédire l’issue.
Les rues du Maroc n’avaient pas connu une telle effervescence depuis bien longtemps. En quelques jours seulement, fin septembre 2025, un mouvement spontané, porté par la jeunesse sous la bannière GenZ 212, est parvenu à bousculer l’agenda politique. Ce nom renvoie explicitement au code du pays (+212) et au fait que ce mouvement se prétend incarné par la génération Z. Cette une génération (13-28 ans environ) hyperconnectée ayant grandi avec Internet et les réseaux sociaux, mais qui est aussi fortement exposée au chômage. Selon le HCP, au second trimestre 2025, le taux de chômage est de 35,8% parmi les jeunes âgés de 15 à 24 ans et 21,9% parmi les personnes âgées de 25 à 34 ans.
L’étincelle est venue d’un drame : huit femmes mortes à l’hôpital Hassan II d’Agadir à la suite de césariennes. L’accident, largement relayé par les réseaux sociaux, a fait office de détonateur.
Au départ, les revendications paraissaient presque «classiques» : des écoles publiques dignes, des hôpitaux fonctionnels, moins de corruption et davantage de travail pour une jeunesse qui ne supporte plus le chômage et la précarité. Rien qui ressemble à une révolution, mais tout au plus le rappel qu’un Etat ne peut tenir debout sans services publics solides.
C’est ainsi qu’en quelques heures, Discord, TikTok et Instagram se sont transformés en caisses de résonance nationale qui a fédéré des milliers de jeunes. Pour les autorités habituées à identifier des têtes à couper pour affaiblir un mouvement, la tâche s’avère compliquée, car GenZ 212 n’a pas de leader déclaré.
Les rassemblements se sont alors multipliés, touchant Rabat, Salé, Casablanca, Marrakech, Agadir, Tanger ou encore Tétouan… Au début, c’était pacifique. Mais, dès le troisième jour, des affrontements ont éclaté dans plusieurs villes. On a ainsi vu des véhicules de police incendiés, des commerces pillés et des forces de l’ordre débordées. L’épisode de Lqliaa, où trois manifestants sont morts lors de l’attaque d’une brigade de gendarmerie, a marqué un tournant tragique.
Pour autant, depuis jeudi dernier, le calme est subitement revenu. Les manifestants battent le pavé pacifiquement, avec même des fleurs offertes aux policiers à Khouribga ou encore des poignées de main et applaudissements adressés aux forces de l’ordre à Rabat.
La bascule
Le mouvement GenZ 212 a franchi une nouvelle étape. Ce qui ressemblait à une simple protestation contre la défaillance des services publics s’est mué en revendication politique d’ampleur : il réclame désormais des têtes.
Le manifeste publié par le collectif en est la preuve éclatante. Le texte, diffusé massivement sur les réseaux sociaux, ne se contente plus de lister des priorités sociales. Il exige, noir sur blanc, la dissolution du gouvernement actuel, en s’appuyant notamment sur l’article 47 de la Constitution qui confère au Roi la possibilité de nommer ou révoquer le chef de l’Exécutif.
Les jeunes, qui veulent leur place dans le débat politique, réclament aussi la mise en place de mécanismes judiciaires pour juger les corrompus, la dissolution des partis impliqués dans des malversations, l’égalité réelle, la liberté d’expression et la libération des détenus arrêtés pour avoir manifesté pacifiquement. Ils appellent même à une conférence nationale de sauvetage, présidée par le Roi, pour remettre le pays sur les rails.
C’est un discours d’une rare radicalité. Qui ne laisse visiblement pas de place au dialogue comme souhaité par le chef de gouvernement, Aziz Akhannouch, car la confiance est rompue à force de promesses non tenues et du sentiment d’injustice grandissant chez beaucoup de citoyens. Le mot d’ordre reste alors implacable : «Akhannouch, démission !». Une revendication qui met l’Exécutif dans une position intenable.
C’est en effet un casse-tête inédit. Comment négocier avec un collectif sans leader officiel et qui ne veut point d’un dialogue policé autour d’une table ? Comment canaliser une colère sans porte-parole ? Peut-on répondre à toutes les revendications formulées par ce mouvement ? Et, surtout, le gouvernement survivra-t-il à cette tempête sociale ?
Rappelons-le, des mouvements similaires initiés par la GenZ ont eu lieu notamment dans d’autres pays (Népal, Sri Lanka, Philippines, Indonésie, Kénya…), dans ce qui semble être un «printemps numérique». A Madagascar, où l’on dénombre quelque 22 morts, les jeunes, qui étaient encore descendus dans la rue samedi, exigent la démission du Président, alors qu’au Népal, après 72 morts, ils ont réussi à faire tomber le gouvernement.
Au Maroc, les prochains jours seront donc décisifs. Le pays se trouve à un moment charnière. La contestation ne vise pas le Roi, dont l’autorité demeure largement respectée, mais le gouvernement et, plus largement, un système politique jugé inefficace et corrompu. C’est une nuance fondamentale : la jeunesse ne cherche pas à renverser l’Etat, elle veut l’Etat tel qu’il devrait être, au service de la collectivité.
Il reste cependant une inconnue : le temps. Les manifestations peuvent s’essouffler si les concessions sont rapides et crédibles. Mais elles peuvent aussi s’installer dans la durée, devenir cycliques et nourrir un climat d’instabilité si les réponses aux aspirations de la jeunesse sont tardives. Et c’est tout ce dont le Maroc n’a pas besoin, lui qui est attendu sur les radars internationaux avec notamment l’organisation de la CAN 2025 et du Mondial 2030.
F. Ouriaghli