Économique, stratégique et diplomatique, l’accord agricole amendé entre l’Union européenne et le Maroc incluant le Sahara marocain ouvre un large boulevard d’opportunités pour les deux parties.
Par Désy M.
L'échange de lettres signées entre le Maroc et l'Union européenne (UE) amendant l'accord agricole en vigueur est loin d'être un simple ajustement technique. Cet acte fondamental, en intégrant les produits des provinces du Sud, lesquels porteront un étiquetage mentionnant leur provenance, redéfinit le cadre économique du partenariat bilatéral et consolide la position stratégique du Royaume.
Les représentants européens et marocains ont qualifié cet accord «de texte sectoriel, commercial et opérationnel», tout en soulignant sa nature profondément historique et stratégique. L'amendement, qui modifie les protocoles n°1 et n°4 de l'Accord d'association de 1996, était rendu nécessaire par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui avait statué que les produits du Sahara ne pouvaient être inclus sans l'accord des populations locales.
La signature, intervenue in extremis avant une suspension définitive de l'accord, visait à préserver le principe du maintien des avantages acquis et à surpasser l'impasse institutionnelle et juridique générée par les décisions répétées de la CJUE. Notons que son effectivité dépend encore de l’aval du Conseil et du Parlement européen. Toutefois, en incluant explicitement les produits des provinces du Sud dans l'accord agricole, cette révision constitue pour le Maroc une reconnaissance économique et juridique de l'unité territoriale dans ses relations commerciales avec l'UE. Concrètement, les exportations agricoles et de pêche issues des villes atlantiques du Sahara marocain, telles que Dakhla, Laâyoune et Boujdour, bénéficient désormais des mêmes tarifs préférentiels que ceux d'Agadir ou Casablanca.
Cette égalité de traitement a un impact direct sur la performance commerciale marocaine. L'économiste Hassan Edman soutient que l'extension du traitement tarifaire préférentiel «renforce significativement la force exportatrice et la compétitivité globale des produits marocains sur le marché européen. En éliminant les barrières tarifaires et en facilitant l'accès à l'un des plus grands marchés mondiaux, le Maroc peut mieux valoriser la diversité de sa production agricole, halieutique et industrielle».
Et d’ajouter que «les opérateurs marocains sont ainsi capables de proposer des prix plus attractifs avec de meilleures marges, tout en étant encouragés à améliorer la qualité et la traçabilité de leurs produits». Ce texte est tout aussi bénéfique pour l’Union européenne, car il assure la pérennité des échanges commerciaux dans un cadre juridique plus clair et sécurisé. Avec un volume des échanges bilatéraux dépassant les 60 milliards d'euros, cet accord vient consolider la position du Maroc en tant que fournisseur «fiable, durable et compétitif». Bien qu’un vent de contestation se soit fait sentir dans certaines sphères de la zone Euro, notamment dans le Sud-est de l’Espagne où des agriculteurs ont dénoncé ledit accord, le qualifiant de nuisible à leurs intérêts car favorisant une concurrence directe à leur fruits et légumes, en particulier la tomate, l’accord en l’état revêt une importance plus globale pour tous les pays de l’Union européenne.
Opportunité de développement local
Pour les provinces du Sud, cet amendement est considéré par Hassan Edman comme une opportunité économique majeure, surtout dans un contexte où le pays veut rompre avec cette tendance de Maroc à deux vitesses. En facilitant l'accès au marché européen, l'accord stimule fortement les investissements privés, notamment dans la transformation agroalimentaire, la pêche, la logistique et les secteurs connexes. Ces développements sont essentiels pour «générer plus de valeur ajoutée locale, créer des emplois durables et dynamiser les chaînes de production des provinces du Sud», a-t-il précisé.
Des investigations menées précédemment par le service européen de l'Action extérieure et la Commission européenne avaient d'ailleurs déjà conclu à un impact socioéconomique positif sur les populations du Sud, notamment en termes d'employabilité et d'insertion professionnelle. Sur le plan diplomatique, cet accord conforte la dynamique de développement que connaissent déjà les villes du Sahara marocain, une zone en pleine mutation où de nombreuses puissances expriment leur volonté d'investir.
D'un point de vue stratégique, le Maroc affirme sa position de hub économique régional fiable, ainsi qu'un pont entre l'Europe et l'Afrique. L'amendement permet de faire du Sahara marocain un «trait d'union entre l'Afrique et l'Europe et un trait d'union entre la Méditerranée et l'Atlantique», selon le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita. Par cet accord gage de stabilité entre les deux parties, le Maroc renforce sa place au cœur de la géopolitique mondiale, en étant un passage jugé «obligatoire» vers le continent africain, comme le reconnaît le projet «Gateway» de l'UE.