Il fallait s’y attendre. Les troubles particulièrement violents qui ont eu lieu vendredi dernier à Al Hoceima, sur fond de «guérilla» urbaine opposant manifestants et forces de l’ordre, ont débouché sur une vague d’arrestations. Le mandat d’arrêt émis ce même jour par le procureur du Roi a conduit, lundi, à l’arrestation d’au moins 40 personnes, dont le leader des protestations, Nasser Zefzafi. Parmi les faits qui leur sont reprochés : présumé acte portant atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat et différents crimes de droit commun.
La tournure qu’ont pris ces manifestations à l’origine pacifique mérite que l’on s’y penche avec prudence. En effet, les marches de protestations initiées dans la province ne datent pas d’une semaine, encore moins un mois. Elles remontent à plusieurs mois, particulièrement depuis la mort du vendeur de poissons Mouhcine Fikri. C’était en octobre 2016. Et les revendications de la population étaient plus que légitimes : justice sociale, meilleures conditions de vie, des infrastructures, du travail,… Ils faisaient du bruit dans la ville, espérant que leurs voix allaient être entendues et leurs revendications résolues. Visiblement, cela n’a pas été le cas.
En réalité, cela fait 7 mois que la grogne dure. Sept mois que, régulièrement, les habitants battent le pavé pour se faire entendre. Où étaient les autorités durant tout ce temps ? Ont-elles écouté les doléances des citoyens d’Al Hoceima ? Ont-elles essayé d’apporter des réponses et des solutions à leurs aspirations légitimes ? Ou, au contraire, ont-elles minimisé la portée de ce mouvement de protestations ?
En tout cas, elles ont une responsabilité dans le pourrissement de la situation et dans la gestion de cette crise, et ont été davantage dans la réaction que dans l’action. La brusque poussée de violences qui a embrasé la région ces derniers jours témoigne, de ce fait, d’un ras-le-bol généralisé, voire d’un excès de frustration accumulée depuis longtemps. Frustration devenue colère qu’a tenté d’éteindre le gouvernement en envoyant dans la région une délégation ministérielle. Cela n’a pas suffi.
Pour autant, toute manifestation où s’invite la violence perd, avec le temps, du crédit, et ne rencontre plus le soutien unanime qu’elle pouvait avoir auprès des citoyens. Surtout lorsque l’on voit dans une vidéo des manifestants demander une pause «ftour» dans leurs échauffourées avec les forces de l’ordre. Cette légèreté étonne et en d’autres circonstances, cela aurait été risible. Mais la situation est trop grave pour en rire.
Aujourd’hui, voilà ce qui est en train de se passer dans la province : une partie de la population commence à se désolidariser de ce mouvement. Et ce, surtout après les révélations faites samedi dernier par le procureur général du Roi près la cour d’appel d’Al Hoceima. Dans un communiqué rendu public, il affirme notamment que les premiers éléments de l’enquête montrent que les mis en cause auraient reçu des transferts d’argent et un appui logistique de l’étranger afin de mener des activités de propagande susceptibles de porter atteinte à l’intégrité du Royaume et ébranler l’allégeance des citoyens à l’Etat et aux institutions.
Les meneurs de cette «rébellion» auraient-ils été manipulés pour déstabiliser le Royaume ? Leur mouvement a-t-il été récupéré ? Ce sera à la Justice de répondre à cette interrogation.
A l’évidence, ce qui était tout juste des manifestations pacifiques sporadiques, confinées à des revendications socioéconomiques, est devenue une bruyante affaire d’Etat. Qui, sans aucun doute, nous réserve encore plein de rebondissements. D’autant que déjà, dans plusieurs villes du Royaume, des personnes se sont mobilisées et sont descendues dans la rue pour soutenir les individus qui ont été arrêtés.
Cela dit, la situation trouble qui prévaut dans la région doit pousser à la réflexion et à la mesure par rapport à tout acte que l’on pose : c’est dans la paix qu’un pays se construit et peut prospérer. C'est dans la paix que le Maroc peut se bâtir un avenir radieux. A méditer.■
D.W.