En pleine réforme de son système de santé, le Maroc fait face à un obstacle de taille, celui de l’exode des médecins à l’étranger.
Par M. Ait Ouaanna
Alors que le pays souffre depuis plusieurs années d’un manque criard de professionnels de santé, entre 600 et 700 médecins quittent chaque année le Royaume, selon les dernières données révélées par la Fondation des enseignants-médecins libéraux.
Certes, il s’agit d’un phénomène mondial, mais son effet se fait davantage ressentir dans les pays en voie de développement. Pour le cas du Maroc, la persistance de ce fléau creuse plus profondément une pénurie des compétences médicales déjà difficile à combler. Dans un rapport publié en mars dernier, la Cour des comptes a dévoilé que le déficit en médecins se chiffre à 47.000 en 2023. Notons que d’après la nouvelle carte sanitaire du Royaume, le corps médical dans le secteur public s’élève à 14.359 dont 3.569 généralistes, 10.193 spécialistes, 414 dentistes et 183 pharmaciens. Ce total place la Maroc bien au-dessous du seuil «densité de personnels médicaux» de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixé à 23 pour 10.000 habitants.
Selon le Dr. Tayeb Hamdi, médecin, chercheur en systèmes et politiques de santé et vice-président de la Fédération nationale de la santé, les raisons de la fuite des médecins marocains à l’étranger sont multiples et variées. «Les médecins partent des pays du Sud vers ceux du Nord pratiquement pour les mêmes raisons. D’abord, le problème des revenus qui sont très faibles par rapport à ce que proposent les pays du Nord, soit des salaires 5 fois plus bas comparés à ceux que reçoivent les médecins à l’étranger. En plus, les conditions de travail sont généralement meilleures. Sans oublier que l’image du médecin se dégrade de plus en plus dans les sociétés. De nos jours, les professionnels de santé sont très fréquemment victimes d’agressions dans les hôpitaux», se désole le praticien.
Dans le même ordre d’idées, Hamdi relève que le phénomène risque de s’aggraver dans les prochaines années puisque les pays du Nord font de plus en plus appel à des compétences étrangères étant donné que leurs jeunes ne veulent plus faire d’études médicales vu la longueur du parcours.
Par ailleurs, le médecin fait savoir que l’idée de quitter le Maroc prend place avant même l’obtention du diplôme. «Une étude récente a révélé que 70,1% des étudiants en fin d’études de médecine au Maroc déclarent avoir l’intention de quitter le pays dès l’obtention de leur diplôme, et ce pour plusieurs raisons. Il s’agit entre autres de l’insuffisance du salaire (97%), du manque du budget alloué à la recherche dans le secteur de la santé (74%), ou encore de la discréditation du médecin dans les médias (83,6%)», précise-t-il.
Et d’ajouter : «La formation des médecins au Maroc se dégrade d’année en année. Nous avons certes des facultés, mais en contrepartie peu de lits hospitaliers, ce qui fait que le nombre de patients affectés à un médecin se réduit de plus en plus. De surcroît, le nombre d’enseignants est très faible par rapport au total d’étudiants et de médecins en cours de spécialisation. Ce qui s’est empiré avec le TPA (Temps plein aménagé), qui a permis à certains enseignants d’exercer dans le privé, et qui a été utilisé par certains de manière très abusive. Par conséquent, les étudiants ont été délaissés et cela ne cesse d’être réclamé».
Compte tenu des résultats d’une enquête menée par la Fondation des enseignants-médecins libéraux, plusieurs facteurs motivent cette décision d’aller exercer à l’étranger. Il s’agit notamment de la possibilité de transfert de fonds, d’une meilleure dotation en ressources des systèmes de santé, de perspectives de carrière élargies, ou encore d’un accès à des études spécialisées.
Interrogé au Parlement à ce sujet, le ministre de la Santé et de la Protection sociale, Khalid Ait Taleb, a récemment annoncé que son département ne pouvait pas mettre fin à la fuite des médecins en raison des avantages que leur offrent les autres pays, notamment le Canada, l’Australie et les pays européens, notant que ce fléau constitue le principal obstacle à la réussite de la réforme du système de santé.
Pour Dr. Tayeb Hamdi, l’interdiction de l’exode des médecins est impossible mais une maîtrise des flux demeure nécessaire. Cela passe d’abord par la multiplication des investissements dans le domaine de la santé en bâtissant plus de CHU, de facultés et d’autres établissements de santé. «Ces investissements vont améliorer l’offre de soins, la qualité de formation ainsi que les conditions de travail et par conséquent participer à freiner l’exode des médecins». Le vice-président de la Fédération nationale de la santé estime que la maîtrise du phénomène nécessite également la formation de plus de professionnels de santé tout en prenant des mesures d’accompagnement, ainsi que l’intégration du secteur privé dans la formation des médecins sur le plan pratique afin d’élargir les terrains de stage et améliorer la qualité de formation.