Le débat public quitte le terrain des idées pour s’enliser dans l’invective. La séquence actuelle entre une partie de la classe politique et les médias marocains en est une illustration frappante.
En quelques jours, les prises de parole du secrétaire général du Mouvement populaire, Mohammed Ouzzine, ont ravivé une tension latente entre sphère politique et presse.
A l’origine, un réquisitoire sévère devant le chef de gouvernement, Aziz Akhannouch, contre certains médias, et une question écrite adressée au ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaid.
Sur le fond, rien d’illégitime, puisque le député Ouzzine s’interroge sur l’usage des fonds publics alloués à des entreprises de presse et à des productions cinématographiques, évoquant un possible dévoiement de l’esprit du soutien étatique. Le propos, en soi, mérite d’être entendu.
La question de la gouvernance du soutien public, de la reddition des comptes et de la qualité des contenus n’est ni taboue ni secondaire. Elle est d’ailleurs le propre de toutes les démocraties confrontées à la mutation économique des médias, à la montée des plateformes numériques et à l’effritement du modèle économique traditionnel de la presse.
Mais là où le débat déraille, c’est lorsque la critique se transforme en mise en accusation globale. C’est quand la dénonciation d’un système supposé défaillant glisse vers la stigmatisation de médias, de journalistes et d’institutions, sans distinction ni précaution de langage.
Escalade verbale
En qualifiant certains médias de «presse de caniveau», en accusant des plateformes de prospérer grâce à la «futilité» et au «sensationnalisme», le ton s’est durci.
Plus encore, en laissant entendre que des médias bénéficieraient indûment de fonds publics, sans apporter d’éléments précis ni de preuves documentées, le discours politique s’est dangereusement rapproché du procès d’intention. Démontrant, au demeurant, toute la fragilité du climat entre presse et politique.
Car, au-delà des personnes, c’est un principe qui est en jeu : peut-on, au nom du débat politique, jeter l’opprobre sur un secteur entier sans risquer d’affaiblir l’un des piliers essentiels de la démocratie ?
Il serait naïf de nier les dérives qui existent dans certains segments du paysage médiatique. Comme ailleurs, le Maroc n’échappe ni au sensationnalisme, ni à la course à l’audience, ni à l’appauvrissement de certains contenus. Mais confondre cette réalité avec l’ensemble de la profession revient à jeter le discrédit sur un corps déjà fragilisé économiquement et structurellement.
On en convient : la critique des médias est légitime, nécessaire même. Mais elle doit obéir à des faits établis et une volonté d’amélioration du système, et non une mise en accusation généralisée.
A défaut, le risque est double. D’un côté, fragiliser davantage un secteur déjà confronté à des mutations profondes.
De l’autre, alimenter une défiance généralisée envers la presse, terrain fertile pour les rumeurs, les discours populistes et les dérives informationnelles.
La démocratie ne se nourrit ni de complaisance ni d’attaques aveugles. Elle se construit dans l’équilibre entre responsabilité et respect mutuel entre institutions. La presse n’est ni au-dessus des lois, encore moins un adversaire politique. Elle est un contre-pouvoir souvent dérangeant, parfois imparfait, mais très indispensable.
Alors, à l’heure où le débat public se crispe et où la tentation de la surenchère gagne du terrain, il serait peut-être temps de rappeler qu’on ne renforce pas la démocratie en affaiblissant ceux qui la font vivre. Et l’on ne réforme pas un secteur en le désignant comme bouc émissaire.
Le vrai débat est de savoir comment assainir, professionnaliser et soutenir durablement la presse marocaine sans la museler ni la stigmatiser ? C’est sur cette question que la classe politique est attendue. Le reste n’est que bruit.
F. Ouriaghli