-Pharmacien de formation et écrivain aux multiples facettes, Dr Ali Benziane construit une œuvre singulière, à la croisée de la poésie et de la philosophie.
-Après des ouvrages ancrés dans le réel, comme «Panser Gaza» ou «Le Mur des paresseux», il nous livre avec «Cheveu d’ange», du sophisme à la quête de l’absolu, un récit saisissant.
-À travers son livre, l’auteur nous entraîne dans un voyage intérieur où spiritualité, science et littérature s’entrelacent. Immersion.
Propos recueillis par Ibtissam. Z
LaQuotidienne : Ce nouveau livre semble introduire une nuance ou même une différence par rapport à vos précédents ouvrages. Qu’est-ce qui vous a poussé à emprunter ici un chemin plus symbolique, poétique, voire mystique ?
Dr Ali Benziane : A vrai dire, mon dernier livre n’est différent des autres qu’en apparence. Je dirais qu’il contient tous les grands thèmes que l’on retrouve, à des degrés divers, dans mes écrits à savoir la poésie, la spiritualité, la philosophie mais aussi la science dans une moindre mesure. En essayant de remonter aux origines de l’inspiration poétique, c’est tout naturellement que la thématique spirituelle, notamment soufie, s’est imposée. Souvent, au cours du travail d’écriture, la quête de sens s’est muée en connaissance de soi. L’élaboration de cet ouvrage fut donc une véritable expérience intérieure.
LaQuotidienne : Le «Cheveu d’ange», inspiré d’une vision d’Ibn Arabî, devient ici un fil conducteur. Comment cette image s’est-elle imposée à vous et quel enseignement peut-on en tirer ?
Dr A.B : C’est en m’intéressant à la poésie d’Ibn Arabî que j’ai découvert le récit d’une vision durant laquelle un ange transmet le secret de la sourate “Les Poètes” à celui que l’on surnomme le Shaykh al Akbar, le plus grand des maîtres soufis. Il nous apprend qu’après cette expérience spirituelle, son inspiration n’a jamais cessé. J’y ai d’abord vu une volonté de rattacher la poésie à un principe supérieur dans lequel elle puise son éclat comme dans une source intarissable. Je suis donc parti de la parenté phonétique et symbolique qui caractérise les mots arabes shi’r (poésie) et sha’r (cheveu) pour interroger les relations, souvent étroites, entre inspiration et révélation. L’image du cheveu comme fil conducteur est loin d’être anodine car en écrivant ce livre j’avais l’impression de dérouler un fil d’Ariane qui me guidait dans un labyrinthe troublant où le poète peut être prophète et vice-versa.
LaQuotidienne : Vous tissez un dialogue entre Orient et Occident, entre science et spiritualité. Ce croisement des univers est-il, à votre avis, une manière de réconcilier ces opposés que l’on dit irréconciliables ?
Dr A.B : Comme l’a rappelé le professeur Éric Geoffroy dans la préface de mon ouvrage, c’est un dialogue qui peut donner le tournis… D’abord, il convient de préciser que c’est à partir de l’époque moderne et du rationalisme cartésien que l’Occident est devenu synonyme de science. On oublie d’une part que, jusqu’au Moyen-Age, l’Occident possédait une authentique tradition spirituelle et d’autre part, que l’Orient est riche de sciences millénaires qui échappent bien souvent à la compréhension des modernes. La poésie est une manière, non pas de réconcilier (car il ne s’agit pas de cela), mais de réunir l’Orient et l’Occident dans ce qu’il y a de plus universel, c’est-à-dire l’esprit. En faisant dialoguer les figures emblématiques de la poésie occidentale (Dante, Hölderlin, Rimbaud…) avec les grands poètes soufis tels Ibn Arabî ou Jalaluddin Rumi, j’ai découvert des chemins insoupçonnés et fascinants qui m’ont convaincu que le dialogue entre Orient et Occident ne peut qu’emprunter la voie salutaire de l’esprit. En cela, la poésie joue le rôle d’intermédiaire voire d’interprète de cette réalité supérieure commune. Elle sort de son domaine profane et se met, comme par magie, à tutoyer le sacré.
LaQuotidienne : Quelle place donnez-vous à la science dans votre démarche littéraire et quête spirituelle ?
Dr A.B : Même si ma passion pour la littérature reste la plus forte, j’ai toujours éprouvé un vif intérêt pour la science que j’essaie d’intégrer aussi souvent que possible dans mon travail littéraire. Dans “Le cheveu d’ange”, j’aborde les sciences pharmaceutiques en évoquant les poètes-apothicaires tel Fariduddin Attar, l’auteur du magnifique Cantique des oiseaux. C’est aussi une manière de me mettre en scène dans mon propre livre. A notre époque, la science semble revenir à l’essentiel en ouvrant des brèches insoupçonnées sur la spiritualité. C’est le cas notamment de la physique quantique. J’ai toujours été fasciné par les polymathes qui mettaient la spiritualité au centre de leur vie tout en innovant dans des domaines scientifiques variés : Avicenne, Al Khawarizmi, Omar Khayyam, Léonard de Vinci, Leibniz, Newton… Ces génies étaient d’authentiques esprits universels qui ont évolué à des époques où la raison scientifique ne prétendait pas encore supplanter l’esprit.
FNH : La poésie vous accompagne depuis toujours, presque comme un mentor. Pensez-vous qu’elle ait encore un rôle à jouer dans notre monde hyper rationnel ? Peut-elle encore soigner, éveiller, voire transformer l’humain qui somnole en nous?
LaQuotidienne : En exergue de mon livre, je cite Ibn Arabî qui affirme dans son Diwan que la poésie est l’origine du langage humain. Je le crois profondément. Ce n’est pas un hasard si le Coran, qui est le dernier livre révélé à l’humanité, possède une structure poétique. Cela parce que la poésie résonne avec ce qu’il y a de plus profond chez l’être humain, son essence en quelque sorte. Elle permet donc de véhiculer un langage symbolique dissimulé derrière les mots qui donne une dimension universelle à la parole, au-delà du particularisme des langues. La poésie permet donc de soigner les âmes comme le faisait Fariduddin Attar, de donner accès à des vérités supérieures et surtout d’exprimer l’indicible en donnant une voix à ceux qui ne peuvent s’exprimer. C’est pour cela que dans “Panser Gaza”, mon précédent ouvrage consacré au génocide toujours en cours en Palestine, chaque chapitre est précédé d’un poème qui permet de mettre des mots sur la douleur insoutenable des opprimés et ainsi les réintégrer au sein de l’humanité dont on a voulu les extraire.
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Encadré :
Top 5 des livres à lire durant cet été :
L’auteur Ali Benziane nous propose une sélection de cinq ouvrages qui reflètent ses thèmes de prédilection à savoir justice, poésie, spiritualité et liberté. Un choix qui mêle classiques et découvertes contemporaines, pour un voyage littéraire riche et engagé.
1- Des souris et des hommes, John Steinbeck
La plus grande tragédie de la littérature moderne. Un récit court mais d’une densité incroyable qui contient toute l'œuvre de cet auteur hors pair. Un classique intemporel.
2- Eloge de la trahison, Gérard Haddad
Le docteur Gérard Haddad est un homme que je respecte énormément et que j’ai l’honneur de connaître. Sioniste repenti, il ne cesse de défendre le droit des Palestiniens en dénonçant les crimes du sionisme politique. Dans ce livre, il s’adresse à son mentor le philosophe Yeshayahou Leibowitz à travers des lettres poignantes et criantes de vérité.
3- L’homme du livre, Driss Chraïbi
Je relis régulièrement Driss Chraïbi qui est un auteur très important pour moi. “L’homme du livre” est l’un de ses plus beaux romans, doté d’une grande sensibilité et d’une force poétique et spirituelle unique. Je rêve de lire une traduction en langue arabe de cet ouvrage exceptionnel.
4- Les Parrhésiens, Philippe Bordas
Ce roman s’adresse aux amoureux de la langue française et ceux qui ont appris à aimer Paris en sillonnant ses rues. Il est écrit avec une langue singulière sur les traces de Rabelais et de Léon Bloy. C’est assurément la plus belle découverte de l’année.
5- La hchouma, Dounia Hadni
Agréablement surpris par ce premier roman écrit par une jeune auteure marocaine. Dans un style fulgurant, elle raconte le combat d’une femme qui tente de se libérer de la pression sociale, aussi bien marocaine qu’occidentale, sans jamais verser dans le cliché et la facilité. Une écrivaine à suivre.