L’Algérie a eu une occasion unique pour se positionner comme l’un des pays les plus riches au monde, et surtout comme un leader incontesté et incontestable. Et ce, non seulement dans le Maghreb mais dans le monde arabe et en Afrique en s’installant comme le partenaire parfait pour l’Union européenne, la Russie, la Chine, les USA et pour les pays du Golfe.
La hausse considérable des recettes liées à l’exportation du pétrole et du gaz durant les années de la présidence de Abdelaziz Bouteflika devait en toute logique permettre à Alger d’asseoir son leadership en l’inscrivant dans la durée, avec une politique sociale sans failles, basée sur l’égalité, et une meilleure répartition des richesses et des revenus des hydrocarbures. Avec une politique économique débarrassée du système de rente qui handicape l’essor du pays, en investissant dans les infrastructures de base, pour un pays qui se dit moderne; en injectant de l’argent dans des projets structurants pour relever les grands défis du futur.
Mais, c’est tout à fait l’inverse qui s’est produit à la surprise générale, un peu partout dans le monde, où tous les observateurs étaient optimistes quant au décollage de l’économie algérienne. L’émergence, tant attendue, d’une position de leader de l’Algérie en Afrique du Nord, s’est très vite transformée en un fiasco inexplicable. Pourtant, l’équation était très simple : des retombées se chiffrant à des dizaines de milliards de dollars en devises, un climat économique mondial plus ou moins stable, une hausse des prix des carburants qui a fait pleuvoir les milliards sur l’Algérie. Tous les ingrédients pour réussir le pari de devenir le numéro 1 en Afrique ont été réunis. Pourtant, tout a fondu. Comme neige au soleil. Et la fameuse rente pétrolière n’a pas permis à l’Algérie de peser de tout son poids sur la balance des équilibres régionaux. Ce qui devait être le cheval de bataille d’Alger, est devenu son cheval de Troie, le plombant de l’intérieur et causant des crises successives sans précédent.
C’est justement la dépendance du pays aux rentes pétrolières et gazières qui avoisinent les 95% des exportations et 70% des recettes budgétaires, qui a donné le coup de grâce à une économie condamnée à ne jamais décoller, justement parce qu’elle n’a jamais su se diversifier en s’appuyant sur l’argent des hydrocarbures pour booster d’autres secteurs de grande importance : l’industrie, la technologie, la transition numérique, le tourisme, les énergies renouvelables, l’agriculture et la pêche maritime. De quoi d’abord assurer une autosuffisance alimentaire et ne plus dépendre des importations. C’est tout le contraire qui a eu lieu, dans une lecture faussée de la position réelle de l’Algérie sur l’échiquier mondial des hydrocarbures. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’Alger, contrairement aux informations véhiculées à tort, ne dispose pas d’assez de réserves lui permettant de peser sur le marché des hydrocarbures et d’infléchir les politiques pétrolières au niveau international. L’Algérie ne représente que 1% des réserves mondiales de pétrole et 2,3% de celles du gaz.
Le mythe autour du pétrole et du gaz prend un sérieux coup quand on se rend compte que les grandes puissances peuvent largement se passer des exportations algériennes dans ce domaine, surtout à cause de la situation géographique du pays. L’Europe mise sur la Scandinavie et sur la Russie. Le pétrole et le gaz algériens étant juste subsidiaires. Ce que les régimes algériens n’ont jamais voulu intégrer pour réagir de manière rationnelle avec ce que cette manne leur rapporte et avec les limites que cela suppose, étant donné les enjeux politiques et économiques qui fluctuent selon la bourse des équilibres régionaux et sur les intérêts du moment. A ceci s’ajoute la surconsommation intérieure des énergies, sans aucune volonté de diversifier les ressources. Pourtant, l’énergie solaire aurait pu devenir le point fort d’une Algérie rationnelle, qui a compris qu’il faut profiter maintenant des besoins mondiaux en hydrocarbures pour se constituer une grande niche d’énergies renouvelables afin d’accroître ses exportations et répondre à la hausse de la consommation intérieure.
Au final, l’Algérie s’est retrouvée en 2021, avec une économie fragilisée et moribonde dépendant à 95% des hydrocarbures et des technologies importées, avec une agriculture rudimentaire, avec un secteur des élevages qui n’a jamais pu prendre son essor et un secteur de la pêche presque inexistant. Ce qui condamne le pays à importer le plus gros de ce qu’il consomme, accusant des pénuries alimentaires, des besoins incessants en produits de base, plongeant les populations dans la précarité et dans la faim.
C’est tout à fait l’inverse de ce que le Maroc a fait durant les trois dernières décennies. Certes, le pays doit soulever, lui aussi, de très grands défis, et ce dans de nombreux domaines et secteurs d’activités, mais il a compris une chose fondamentale : l’impératif d’une économie diversifiée pour s’intégrer de manière durable, avec des atouts solides, dans l’économie mondiale qui se base aujourd’hui sur la diversification des produits et des services. C’est cette diversification qui explique les partenariats multiples avec l’Europe, la Russie, la Chine, les pays africains, francophones et anglophones, avec le monde arabe et surtout les pays du Golfe. C’est ce qui explique aussi que le Maroc est l’une des économies à la croissance la plus rapide des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, avec une moyenne d’environ 4,5% sur les 15 dernières années. Une moyenne qui a certes pâti de la crise engendrée par la pandémie de la Covid-19, mais Rabat arrive tout de même à garder un bon cap et à tenir un rythme de croisière avec le moins de dégâts possibles. Ce qui n'exclut aucunement que le Maroc a grand besoin, aujourd’hui, de réformes structurelles importantes pour rectifier les erreurs du passé. Le Maroc doit également réfléchir et concevoir une véritable réorientation de la croissance pour la rendre plus inclusive et plus égalitaire.
C’est là l’un des plus grands défis de la prochaine décennie pour le Royaume, qui doit impérativement faire de la question sociale une priorité nationale pour consolider sa stabilité, lutter contre les précarités de tous genres et donner corps à une politique sociale égalitaire et équitable.
Abdelhak Najib
Écrivain-journaliste